Vazan, ou le point qui marche

Bill Vazan, figure centrale du land art au Canada, est aussi, on l’oublie, un phare de l’art conceptuel au pays. Le centre Vox a rappelé ce pan, énorme, de sa longue carrière en lui consacrant en 2007 une exposition réunissant vingt-deux projets tirés de ses années conceptuelles (1969-1975) — à l’exception d’un travail entamé en 2006. Deux ans après l’expo, voici le catalogue qu’on n’attendait plus.
Rétrospective majeure, publication majeure. Bill Vazan: Walking into the Vanishing Point, le titre lancé il y a quelques mois, permet d’apprécier la cohérence de ces idées, disons, fuyantes, se perdant dans le «point de fuite». Les oeuvres de l’artiste natif de Toronto, Montréalais depuis des lunes, se mesurent en temps (certaines créées il y a près de quarante ans sont toujours en cours) et en distance.Ces années et ces kilomètres que Vazan invite à franchir, le catalogue le rend bien. Dirigée par l’artiste lui-même et par Marie-Josée Jean, directrice de Vox, la publication fait une belle place au visuel, reproduisant sur plusieurs pages de nombreux projets. Elle puise judicieusement auprès de cette démarche reposant en grande partie sur la photographie conceptuelle et sérielle.
Walking into the Vanishing Point, l’oeuvre de 1970 (du 13 juin 1970, pour être précis) qui a donné le titre à la rétrospective, consiste en un parcours du boulevard Saint-Laurent, intersection par intersection. Dix-sept des soixante images qu’en a tirées Vazan ouvrent le livre, chacune dans sa page-cadre noire.
Dans son analyse, Marie-Josée Jean met les points sur les i dès le départ. L’approche conceptuelle de Vazan se distingue de la majorité de ce courant, très critique de l’objet. «Son art n’est pas “purement conceptuel”, écrit-elle. Il ne cherche pas à refouler l’expression subjective ou formaliste ni à instaurer l’idée de neutralité ou de dépersonnalisation.»
Bill Vazan s’est impliqué personnellement dans ses projets. Le texte de Johanne Sloan survole cette partie de son travail très urbain, de sa balade sur le boulevard Pie-IX (Bus # 139 Ride, 1970) à «ses ensembles plus vastes sur le plan spatial», tel que World Line (1971), un ruban noir posé dans vingt-cinq coins du monde au même moment. Sa correspondance de cartes postales Lifeline (1970-1972), dans laquelle Vazan laisse transparaître des éléments autobiographiques, contribue aussi «au discours [visuel] sur la ville».
L’ouvrage est complété par une biobibliographie très poussée, commentée par Claudine Roger, ainsi que par une «conversation» de l’artiste (avec Patrice Loubier). Vazan se montre très volubile, très imagé dans ses explications.
«Paul Klee a dit “une ligne est un point qui est parti marcher” — ce qui illustre mon travail dans une certaine mesure. Je suis ce point qui marche. Je voyage.» Et nous avec lui, grâce à ses exercices peut-être éphémères au moment de leur mise en pratique, mais gravés aux moyens des efforts du centre Vox.
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Collaborateur du Devoir
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Walking into the Vanishing Point
Bill Vazan
Vox, centre de l’image
2009, 204 pages