Le pillage du musée archéologique de Bagdad - Les critiques fusent contre Washington
L'armée américaine est fortement critiquée par la communauté internationale, mais aussi aux États-Unis, pour avoir négligé, après la prise de la capitale irakienne, la protection du musée archéologique de Bagdad dont les collections couvrent 7000 ans d'histoire.
Dans son édition d'hier, The Independant, de Londres, estime à plusieurs milliards de dollars la valeur totale des oeuvres pillées dans l'établissement. Le secrétaire d'État américain Colin Powell a promis hier que son pays aiderait à «retrouver ce qui a été pris» et participerait «à la restauration de ce qui a été cassé».Selon plusieurs sources, les militaires de la coalition américano-britannique n'ont protégé contre les pillages que les quartiers généraux des ministères irakiens de l'Intérieur et du Pétrole.
La mise en cause de la négligence culturelle est d'autant plus embarrassante que, selon le Washington Post, des experts du Moyen-Orient ont alerté il y a des mois le Pentagone sur les risques de pillage des richesses inestimables des musées irakiens en cas de guerre.
«L'assurance m'avait été donnée que les sites et les musées seraient protégés», a affirmé dans les colonnes du Post McGuire Gibson, professeur à l'Institut d'études orientales de l'université de Chicago, qui a indiqué être retourné deux fois au Pentagone avant le déclenchement de la guerre.
L'archéologue et historien d'art John Russell, du Massachusetts College of Art, a de son côté mis en garde contre un réseau de trafiquants d'art opérant en Irak. C'est pourquoi, a-t-il dit, «le plus possible et le plus vite possible, il faut contrôler les frontières pour intercepter les antiquités qui risquent de quitter le pays».
En janvier dernier, des universitaires, des directeurs de musées, des collectionneurs et des marchands d'art avaient eu une réunion au Pentagone pour expliquer aux responsables américains la menace pesant sur les trente-trois musées disséminés à travers l'ancienne Mésopotamie. Le bureau de l'Asie de l'UNESCO a également fourni à l'état-major des forces armées des cartes indiquant les sites culturels à protéger.
Une trentaine d'experts internationaux se réuniront jeudi au siège de l'organisme, à Paris, pour faire le point sur l'état du patrimoine en Irak et décider d'une stratégie d'intervention d'urgence, par exemple l'envoi d'experts sur place.
Vendredi, des pilleurs ont pénétré dans le musée archéologique de Bagdad, qui renferme la plus importante collection d'oeuvres du riche patrimoine irakien. Les vandales et les voleurs l'ont mis à sac sans être inquiétés par les militaires américains postés dans la ville.
Les actes de vandalisme contre le musée ont été vivement critiqués par la communauté internationale. La Russie, par la voix de son ministre de la Culture Mikhaïl Chvydkoï, a dénoncé hier les forces américaines pour ne pas avoir empêché ces pillages. «Ce que nous craignions est arrivé, malgré nos avertissements répétés», a regretté M. Chvydkoï.
Réagissant à ces critiques, le secrétaire d'État américain Colin Powell a déclaré que son pays s'engageait à protéger le patrimoine historique irakien et allait aider à réparer les dégâts. «Les États-Unis sont conscients de leurs responsabilités et nous allons prendre un rôle prépondérant dans le respect des antiquités en général, et de ce musée en particulier, a-t-il promis. Les États-Unis vont travailler avec de nombreuses personnes et organisations pour non seulement sécuriser les lieux, mais aussi retrouver ce qui a été pris et participer à la restauration de ce qui a été cassé.»
M. Powell a indiqué que des contacts avaient été pris à ce sujet avec l'Unesco et qu'il s'en était entretenu avec le chef de la diplomatie grecque, Georges Papandréou, dont le pays préside l'Union européenne.
Berceau de l'humanité, la Mésopotamie a abrité les civilisations les plus florissantes (Sumériens, Akkadiens, Elamites, Babyloniens, Assyriens, etc.) Le Musée national irakien est le joyau du secteur. Ses collections comprennent — ou comprenaient... — notamment des tablettes du Code d'Hammourabi (un des plus anciens textes juridiques de l'humanité), des textes de l'épopée de Gilgamesh (la source mythologique du récit biblique du déluge), des traités mathématiques prouvant la maîtrise dans cette région du théorème de Pythagore 1500 ans avant Pythagore.
À côté de dizaines de ces trésors inestimables, on retrouvait des milliers d'objets plus petits et moins connus, des pièces de monnaie, des figurines, des outils... Ces petits lots trouveront plus facilement preneurs au marché noir et demeureront plus difficiles à identifier. Les grandes pièces et les chefs-d'oeuvre ne pourront être achetés que par des collectionneurs qui les cacheront pendant des années, voire des décennies.
L'Association des directeurs de musées d'art a lancé hiers un appel aux musées et collectionneurs du monde entier pour leur demander de ne pas acheter d'objets récemment pillés dans le musée de Bagdad.
Avec l'Agence France-Presse