Dans l'âme créatrice

Born Rich Getting Poorer, la sitcom de Milutin Gubash, repose sur un travail plastique, propre tant à celui de l’image qu’à celui de l’installation.
Photo: Born Rich Getting Poorer, la sitcom de Milutin Gubash, repose sur un travail plastique, propre tant à celui de l’image qu’à celui de l’installation.

Ses yeux ornent les portes du centre Optica de belle manière. Un style sans doute accrocheur, mais qu'on verrait davantage au métro Berri qu'au Belgo. Milutin Gubash, vidéaste se mettant lui-même en scène, comme de cet imposant préambule à son exposition Born Rich Getting Poorer, emprunte à la publicité ses stratégies les plus énergiques. Celles qui font apparaître des images partout, y compris dans les tourniquets du métro.

Ce que Milutin Gubash annonce de son regard ténébreux correspond bien à une telle mise en marché: Born Rich Getting Poorer est une sitcom. Du moins il en a l'apparence. L'émission en quatre épisodes ne bénéficie pas d'une diffusion télé, et n'en bénéficiera probablement jamais; elle existe en format DVD.

Pour l'occasion, Optica se fait club vidéo. On peut y louer chacun des épisodes moyennant... 20 $. En salle, dans l'espace galerie, ce n'est qu'un extrait du premier épisode qui est projeté. Sur très grand écran, certes, question, suppose-t-on, de donner un avant-goût, d'éveiller notre soif de consommateur.

On y voit Gubash, dans le confort douillet de sa (?) maison, se faire tirer du sommeil par son père, que l'on devine revenir de l'au-delà. À moins que la scène, qui se déroule sur fond d'une incessante sonnerie de téléphone et d'une musique tzigane entraînante (Gubash est né en Serbie), soit l'illustration d'un rêve. Vrai qu'en franchissant la porte d'entrée, le visiteur s'introduisait dans la tête de l'artiste.

Il y a comme deux volets à cette expo, à ce produit qui s'avère, finalement, pas de surprise là-dessus, relever de l'art actuel plus que du populaire. Au-delà de sa plaisante simulation de la culture de masse, simulation toute cynique (les 20 $ sont remboursables!), Born Rich Getting Poorer repose sur un travail plastique, propre tant à celui de l'image qu'à celui de l'installation. À la mise en espace sociale s'oppose la mise en espace physique.

Apprécié pour sa capacité à jongler avec les codes narratifs cinématographiques, Milutin Gubash propose depuis plusieurs années des oeuvres intrigantes, où contemplation et suspense se confondent. Le fait de s'y inclure, et d'y inclure son entourage familial, contribue nécessairement à nous faire prendre plusieurs chemins à la fois. On ne sait jamais quelle est la part de fiction dans cet enrobage si réel, pas plus que l'on sait si on assiste à un récit ou à un collage d'image sans queue ni tête.

Le critique Sylvain Campeau voit juste en traitant l'art de Gubash d'élagué, «de construction disruptive, de raccordements à vau-l'eau, de réunification désordonnée» (Etc., automne 2007). Si l'extrait que l'artiste donne à voir à Optica semble plus cohérent et ordonné, il en va autrement de l'ensemble de ce qui est exposé.

À l'oeuvre en mouvement s'ajoute un (autre) extrait, cette fois sur papier, un bout de scénario qui ne correspond pas à ce qu'on voit et entend sur l'écran. Puis, il y a cette série d'images fixes, projetées au verso (ou au recto, puisque ce sont elles qui nous accueillent) de la sitcom. Elles montrent, tour à tour, les différents membres de ce que l'on suppose être la famille Gubash, en tant que membres de l'équipe de tournage.

Éclaté, raccordé à vau-l'eau, pour reprendre le vocable de Campeau, l'expo tient sa cohérence dans la mesure où tout ce que Gubash propose a à voir avec la construction. Construction de la réalité, fabrication de l'image, mise en mots de ce qui sera filmé, mise en scène d'une bien improbable mise en marché... Pendant que l'écran-paroi au milieu de la salle a plus d'une face, dans l'extrait montré, la caméra semble glisser, tournoyer même, sur plus d'une surface.

Milutin Gubash dose tout ça d'un humour bien soigné. Si Campeau voit en lui un Buster Keaton, il possède aussi quelque chose d'un Emir Kusturica, de ses couleurs fantaisistes. Musique aidant, certes, ainsi que cette dernière réplique d'un père caricatural qui lui annonce être le roi des gypsys.

Sacres à l'affiche

Sylvain Bouthillette n'y va pas de main morte avec sa dernière série, un corpus plus affiche que jamais. Les «Ostie de fuckin crisse» et autres formules bien enjouées parsèment la petite salle d'Optica, légèrement transformée pour l'occasion en étroit corridor. Jeu graphique bien avant d'être une flopée d'insultes, la trentaine d'affiches expriment un certain équilibre, ou déséquilibre, qui sait, de l'âme humaine.

L'esprit punk et la pensée bouddhiste qui caractérisent la touche Bouthillette trouvent ici une bien jolie formule à leur fusion. L'alternance des sacres, peints ou imprimés en noir, et des images quelque peu morbides (des crânes sur des corps de poupées) offre du rythme. Une certaine harmonie se dégage à force de voir rapprocher symboles spirituels et textes expressifs, âme et voix, disons. Et ce, malgré la multiplicité des manières de faire (peinture, collage, impression). Pour nous rassurer, en fin de parcours, trône un montage photo d'où semblent nous surveiller les yeux et les oreilles de l'artiste, tel un gourou protecteur et vigilant.

Ces affiches faisaient partie de l'exposition Québec Gold qui a atterri cet été en France (à Reims), puis poursuivie lors du Symposium de Baie-Saint-Paul, très axé sur l'art du graffiti. La série est plus vaste, mais disons qu'on bénéficie, à Montréal, d'une vue d'ensemble unique.

***

Collaborateur du Devoir

***

Born Rich Getting Poorer

De Milutin Gubash et Sylvain Bouthillette

Optica, centre d'art contemporain, 372, rue Sainte-Catherine Ouest, suite 508

Jusqu'au 6 décembre

À voir en vidéo