Exposition - L'art est-il à vendre ?

En entrant dans la Galerie, on fait face à un immense étalage de boîtiers de plastique. Chacun renferme une figurine d’argile reproduisant un personnage tiré d’une oeuvre d’art, elle-même reproduite sur l’emballage. Photo: Michèle Provost
Photo: En entrant dans la Galerie, on fait face à un immense étalage de boîtiers de plastique. Chacun renferme une figurine d’argile reproduisant un personnage tiré d’une oeuvre d’art, elle-même reproduite sur l’emballage. Photo: Michèle Provost

Lorsqu'ils apprennent qu'elle est artiste, la plupart des gens demandent à Michèle Provost de leur dire combien valent ses oeuvres. «Et lorsque je leur réponds que je ne les vends pas, explique l'artiste, je vois bien qu'ils se disent: "Ça ne doit pas être très bon si elle ne les vend pas..." Je pourrais leur expliquer que, comme mes oeuvres font partie d'installations, elles ne prennent leur sens que lorsqu'elles sont ensemble et que, si je les vends séparément, elles ne veulent pratiquement plus rien dire... Mais c'est long et compliqué d'expliquer ça chaque fois, alors je les laisse penser ce qu'ils veulent.»

Michèle Provost est loin d'être la seule artiste ayant à faire face à ce type de réaction, qui assimile la valeur artistique d'une oeuvre à sa valeur commerciale. C'est un sujet qui fait l'objet de nombreuses réflexions dans le domaine de l'art, mais Provost avait envie de s'y attaquer d'une autre manière, plus directe et plus visuelle.

Un jour, en rentrant de l'école, une de ses filles lui a expliqué qu'elle venait d'apprendre que les produits dérivés rapportent souvent beaucoup plus que l'oeuvre dont ils sont inspirés; par exemple, alors que les deux premiers films de la série La Guerre des étoiles (Star Wars) ont rapporté 870 millions de dollars, les figurines en plastique et autres produits autorisés ont pour leur part rapporté plus de deux milliards à leurs fabricants! En entendant cela, Michèle Provost a compris qu'elle tenait enfin l'angle par lequel elle allait aborder la question de la commercialisation de l'art!

Présentée jusqu'au 24 août à la Galerie de l'université Carleton d'Ottawa, Selling Out est une parodie de l'univers des produits dérivés, des figurines aux magazines en passant par les cartes à collectionner. Sauf que, au lieu de présenter des superhéros de cinéma ou de bandes dessinées, ces produits mettent en vedette des personnages tirés d'oeuvres d'art ou les artistes qui les ont réalisées.

En entrant dans la Galerie, on fait face à un immense étalage de boîtiers de plastique à double coque, disposés sur des panneaux perforés. Chaque boîtier renferme une figurine d'argile reproduisant un personnage tiré d'une oeuvre d'art, elle-même reproduite sur l'emballage.

Un coin de la galerie sert même d'entrepôt: les boîtes s'y empilent en attendant d'être exposées sur les présentoirs, au fur et à mesure des (hypothétiques) ventes. Le message est clair: l'art est une marchandise comme une autre, qu'on peut commercialiser à sa guise. L'artiste a même poussé l'ironie un cran plus loin: les figurines tirées de La Joconde et des Nymphéas de Monet sont tellement populaires qu'elles sont «Temporairement en rupture de stock»!

Le mur d'en face sert à l'exposition des cartes à collectionner, fabriquées sur le modèle exact des cartes de hockey, mais sur lesquelles Alex Kovalev et Martin Biron sont remplacés par Max Ernst ou Frida Kahlo. Sur un socle, les mêmes cartes sont rassemblées dans un cartable à anneaux semblable à celui dans lequel les garçons, petits et grands, rangent leurs trésors. Dans le cas des cartes comme dans celui des figurines, la quantité des objets présentés accentue la portée du message: Michèle Provost a fabriqué 200 cartes et 155 figurines pour que le spectateur ait vraiment l'impression qu'il s'agit d'objets de consommation de masse.

La dernière portion de l'exposition est réservée (au figuré, bien entendu) aux véritables collectionneurs, à ceux qui n'ont pas peur de sortir leurs gros sous pour acquérir une oeuvre rare. En se basant sur les numéros de collection des Marvel Comic Books, Provost a imaginé des couvertures de magazines à collectionner ayant pour thème «Héros et héroïnes de l'art».

Utilisant la technique de la broderie qu'elle perfectionne depuis déjà quelques années, elle a reproduit une douzaine de chefs-d'oeuvre de l'histoire de la peinture, en les présentant à la manière des superhéros de bandes dessinées. Des Ménines, de Vélasquez, à La Grèce expirant sur les ruines de Missolonghi, de Delacroix, l'effet est saisissant. Les encadrements, plus larges que les oeuvres elles-mêmes mais d'une totale sobriété, font contraste avec la présentation visuelle criarde de ces fausses couvertures, extrêmement fidèle au style des fameux Marvel Comic Books.

Tous ces articles brouillent nos repères habituels en matière d'art. Leur côté artisanal, kitsch et fait main se heurte à la qualité artistique indéniable des chefs-d'oeuvre dont ils sont inspirés. Leur rareté (chaque article étant unique) contredit l'aspect commercial de leur présentation. Enfin, même s'ils semblent glorifier le marchandisage de l'art, ils ne sont pas à vendre... Malheureusement, comme elle est présentée dans l'espace épuré de la Galerie de l'université Carleton, durant la période des vacances universitaires de surcroît, l'installation de Michèle Provost risque de ne pas avoir l'impact qu'elle mérite. On voudrait plutôt la voir dans un lieu public, une galerie marchande ou un centre commercial par exemple, juste pour voir la tête des gens qui, croyant sincèrement qu'il s'agit d'articles commerciaux, se verraient répondre: «Désolé, cette marchandise n'est pas à vendre.»

La Galerie de l'université Carleton se situe dans l'Édifice Saint-Patrick, 1125, Colonel By, Ottawa. Les heures d'ouverture sont de 10h à 17h du mardi au vendredi et de 12h à 17h les samedi et dimanche. Le stationnement est gratuit les fins de semaine et l'entrée à la Galerie est gratuite en tout temps.

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Collaboratrice du Devoir

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