Guerrera plus convivial que jamais

Photo : Guy L’heureux
Vue de l’installation de l’atelier Darboral à la Fonderie Darling.
Photo: Photo : Guy L’heureux Vue de l’installation de l’atelier Darboral à la Fonderie Darling.

En quelque sorte laboratoire ou atelier, Darboral de Massimo Guerrera fait escale à la Fonderie Darling pour l'été. L'artiste, lauréat du prestigieux prix Ozias-Leduc en 2001, assure depuis huit ans avec diligence la progression et l'entretien de cette plateforme qui s'incarne à travers des installations, des dessins et des sculptures pour devenir le théâtre de repas partagés et de rencontres diverses. Les années ont donné de la maturité au projet, complexifié son organisation physique en lui greffant des charges émotives et du vécu, tant et si bien que Guerrera compare l'étape de cette exposition à une «transplantation».

Quitter le cadre intime et rassurant de l'atelier n'a rien de simple en effet pour un projet comme celui de Darboral, surtout quand le contexte d'apparition publique est la très spacieuse salle de la Fonderie Darling. Comment redonner aux nombreux éléments accumulés au cours des années l'environnement et l'agencement organiques qui les ont vus émerger? C'est le défi qu'a pleinement relevé par Massimo Guerrera tout en disposant, avec une aisance remarquable, de la totalité de l'espace.

Métaphores de la vie psychique

Darboral, depuis les tout débuts, élit son ferment dans le quotidien, dans la quotidienneté des gestes dont les registres de prédilection sont les denrées alimentaires et le corps. Par l'entremise d'opérations plastiques et de réalisations physiques, autour du corps avec des aliments et des objets sculptés, Guerrera expérimente et fait expérimenter les rapports à autrui, l'ouverture et la résistance aux autres ainsi qu'à soi-même. Mobilisés avec une cohérence irréfutable, les matériaux et les actions de l'artiste se déclinent selon leurs degrés d'étanchéité ou de porosité comme autant de métaphores de la vie psychique.

Ainsi, des sculptures en céramique et en plâtre déposées au sol ou sur des tables basses présentent des cavités profondes et intrigantes; appuyés contre le mur, des panneaux de polystyrène s'alignent pour agir en guise de protection ou suggérer des connections avec quelqu'un d'autre. Ailleurs, des contenants de plastique s'empilent bien hermétiquement en laissant voir par leurs parois transparentes des objets truffés d'orifices. Plus qu'un inspirant décor, les diverses composantes de l'installation ramènent au corps, éveillent des sentiments d'attraction ou de répulsion.

Pour «goûter» à cela, il faudra d'abord se rendre disponible, retirer ses chaussures avant de marcher sur le plancher rendu accueillant par les nombreux tapis, juxtaposés par du ruban adhésif pour marquer leur installation temporaire, ici, et les points de jonction qui les assemblent.

Car pour Massimo Guerrera, les frontières sont des interfaces de rencontre, des zones d'infiltration qu'il aime révéler. De là, le seuil même de l'exposition est souligné par une butte molle dont la pente légère est traversée par une fente, réceptacle discret, parce que volontairement difficile d'accès, à l'accumulation de lanières de papier. Il s'agit d'un texte en cours d'élaboration, coécrit avec la comédienne et auteure Céline Bonnier, avec qui l'artiste a collaboré pour la pièce Le Chant des Gaston, présentée à l'Espace libre l'automne dernier.

C'est d'ailleurs au travail en collectif que fait honneur Guerrera avec Darboral. Au nom de Céline Bonnier s'ajoutent ceux de Stephen Beaupré (clairement nommé pour sa contribution à la bande sonore qui anime l'espace), Sylvie Cotton, Daniel Danis, Yves Graton, Corine Lemieux, Ginette Rioux, Tamar Tembeck et Anne-Marie Ninacs, ceux-ci impliqués de diverses façons dans la phase actuelle de Darboral. Au fil de «rendez-vous indéfinis», prévus au cours des semaines à venir, l'artiste s'engage aussi à maintenir l'exposition dans un état de progression et de transformations continues, comme le veut la vie, cette ultime et fondamentale matrice d'intervention.

Traces

Il reste qu'une mise en scène étudiée préside aux éléments déjà présents. Il y a par exemple cette tête imposante que l'artiste a façonnée à partir de fragments tirés de différents visages, sorte d'amalgame des corps individuels en une entité nouvelle. Au-dessus du visage aux traits réalistes convergent d'ailleurs en amas des fils électriques blancs provenant de plusieurs endroits de la pièce. Apport notable, ces fils créent un réseau physique dans l'espace, alimentent quelques ampoules électriques et servent de crochet à des accessoires tout en suggérant des connexions énergétiques entre les composantes.

Outre les fruits et les noix, ces imparables ingrédients du répertoire plastique et métaphorique de Guerrera, prennent place également, éclatants de fraîcheur sous la lumière naturelle, des plants d'agrumes. Ils découlent des noyaux de fruits consommés par les convives de Darboral, résultats des soins patients apportés au cours des années. Les résidus d'hier ont été réinjectés dans une chaîne de signification que le temps fait croître.

Les «signes-outils», pour reprendre les mots de l'artiste, que sont les oeuvres réunies portent les traces des usagers participants, telle une mémoire matérielle collective, confondant dès lors les contributions respectives. De la sorte, Massimo Guerrera remet habilement en question la signature individuelle et la permanence de l'intégrité du corpus d'oeuvres d'un artiste, réquisits alimentés par l'histoire de l'art, le marché de l'art et la muséologie.

Depuis ses quelques présentations, à la Biennale de Montréal (2000), au Musée national des beaux-arts du Québec (2002-2003) et à la galerie Joyce Yahouda (2006) notamment, Darboral n'a sans doute pas permis à Guerrera d'épuiser cette délicate réflexion à laquelle la présente exposition fournit en quelque sorte un point d'orgue, sûrement pas définitif, mais à tout le moins décisif. Darboral atteint en effet ici un degré d'expression qui ressemble à une fin de cycle. À cela s'ajoute l'impression d'un dispositif plus convivial que jamais. À expérimenter donc au moins une fois, si ce n'est pas plus.

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Collaboratrice du Devoir

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ENTRE LE VISIBLE ET L'INVISIBLE (DARBORAL)

Massimo Guerrera

Fonderie Darling

745, rue Ottawa

jusqu'au 31 août

À voir en vidéo