Des oeuvres surprenantes sur un thème connu

Harun Farocki
Deep Play, 2007, d’Harun Farocki. Images fixes tirées de l’installation vidéo à 12 projections.
Photo: Harun Farocki Deep Play, 2007, d’Harun Farocki. Images fixes tirées de l’installation vidéo à 12 projections.

Après l'exposition personnelle de Marc Quinn, qui inaugurait ses locaux l'automne dernier, et à qui la critique a réservé un accueil plutôt tiède, la DHC/ART présente Re-constitutions. Au lieu d'un solo, dont le côté spectaculaire laissait présager la volonté d'occuper un certain créneau, la DHC/ART opte maintenant pour une exposition thématique avec les artistes Nancy Davenport, Stan Douglas, Harun Farocki, Ann Lislegaard, Paul Pfeiffer et Kerry Tribe.

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RE-CONSTITUTIONS
DHC/ART Fondation pour l'art contemporain
451 et 468, rue Saint-Jean, Montréal jusqu'au 25 mai
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À propos du thème, autant le dire tout de suite, il n'a rien de nouveau. Par «re-constitutions», le commissaire de la fondation, John Zeppetelli, désigne très généralement des pratiques qui s'approprient, citent et recyclent des sources culturelles existantes pour les rejouer et, par conséquent, en proposer une relecture. Avec raison, on pourra y voir certains liens de parenté avec la dernière édition du Mois de la Photo, dont plusieurs oeuvres réactivaient des références cinématographiques et où la vidéo se taillait une place de choix. À la DHC/ART, l'intention est moins de fouiller les enjeux rattachés au thème de la «re-constitutions», somme toute assez large, que de rendre accessibles des oeuvres jugées significatives.

De là, une sélection relativement à l'abri des risques, en ce sens que les oeuvres parviennent sans mal à s'inscrire dans le thème et que la plupart d'entre elles ont déjà été montrées lors d'événements d'envergure internationale. Sans que ce dernier critère soit un gage de réussite, il faut convenir que les oeuvres choisies sont de calibre élevé. De toute évidence, également, et c'est une chance pour Montréal, DHC/ART a les moyens financiers et l'audace de présenter des oeuvres exigeantes sur le plan de l'installation technique.

Répétitions et variations

C'est le cas notamment de l'oeuvre Workers (Leaving the Factory) (2007) de Nancy Davenport, qui a d'ailleurs bénéficié du soutien financier de la fondation. L'installation est montrée ici dans une version enrichie, avec une série de 12 écrans où défilent des séquences en boucle. Le sujet en est des travailleurs européens mis à pied et relayés par des ouvriers asiatiques. Tirées de l'actualité — la délocalisation des industries dans un contexte de mondialisation —, ces images sont traitées numériquement par l'artiste, qui y greffe des références à Méliès et aux frères Lumière, respectivement pour leur film pionnier.

Davenport entremêle habilement les ressorts de la fiction au registre documentaire et le dispositif installatif a son efficace, quoique un peu à l'étroit dans la salle exiguë, trait typique des espaces de la DHC/ART, auquel il est difficile de s'habituer tant il dessert parfois la perception des oeuvres.

Même avec des moyens plus modestes, Here and Elswhere (2002), de Kerry Tribe, ravit et retient sans peine l'attention. La double projection montre le dialogue entre un père (voix hors champ) et sa fille de onze ans, scénario inspiré d'une série télévisuelle de Jean-Luc Godard et d'Anne-Marie Miéville. Interrogée sur le temps, l'espace, la représentation et les souvenirs, la jeune fille formule des propos d'une étonnante maturité dont le contenu est également traduit par le dispositif de présentation. La courte boucle de la vidéo allie judicieusement le ton intimiste de la conversation et la démonstration à caractère philosophique.

Pour cette exposition, DHC/ART a aussi investi l'espace satellite situé de l'autre côté de la rue Saint-Jean, où, assurément, le visiteur passera plus de temps. En plus d'une oeuvre de Stan Douglas et une autre d'Harun Farocki, il y a les deux installations de Paul Pfeiffer, qui revisitent des images de Michael Jackson (une performance sur scène et une déclaration à la télévision). Troublantes, les oeuvres font ressortir des aspects controversés de la vedette américaine.

Ce sont les mécanismes de la narration qui occupent davantage Stan Douglas, avec Inconsolables Memories (2005). Tourné en studio à Vancouver et enrichi d'images documentaires, le film s'inspire de Mémoires du sous-développement (Tomás Gutiérrez Alea, 1968), mettant en scène Sergio, un intellectuel bourgeois, à Cuba, durant la Crise des missiles en 1962. Toujours à Cuba (sur lequel l'artiste a réalisé une magnifique série de photos, malheureusement pas incluses dans l'expo) et avec le même protagoniste masculin, l'histoire campée par Douglas est transposée en 1980, durant l'exode de Mariel.

La projection est faite de deux films 16 mm, des boucles de longueur inégale qui se superposent parfois (son, image) et qui alternent leurs parties (entrecoupées par des vides), entraînant des permutations dans le déroulement du récit, ainsi étiré et inlassablement reconduit. Procédant par répétitions et variations, l'oeuvre complexifie les temporalités du récit. Grâce à des retours en arrière, l'histoire insiste sur les souvenirs du personnage, dont le présent est teinté par l'anxiété et une tension, à l'instar du devenir sociopolitique de son pays.

Indéniablement puissante, l'oeuvre reste insaisissable dans sa totalité. Cet aspect participe sans doute à la force de l'oeuvre, rendant le sujet plus obsédant, les ficelles de l'histoire volontairement résistantes. Dans une logique qui n'est pas similaire, mais qui cultive aussi la multiplication, l'installation d'Harun Farocki clôture magistralement l'exposition.

Le cinéaste allemand en met plein la vue avec son Deep Play (2007), montrant à travers 12 écrans, et 12 registres d'images différents, la finale de la Coupe du Monde de football 2006. Tandis que les échos de la foule et les propos des commentateurs ravivent l'ambiance frénétique du match (pour un peu, on se croirait dans le stade), les écrans additionnent les points de vue: images tournées par la FIFA, analyses numériques par des logiciels, animations 2D et 3D, etc. Toutes les images diffusent en temps réel le déroulement de la célèbre partie, dont le spectacle est à la fois amplifié et déconstruit par les procédures de Farocki.

L'installation a plus d'impact qu'à la Documenta de Kassel, où elle a été montrée la première fois. Détail non négligeable, le journal de production de l'oeuvre, relaté par l'artiste lui-même, est mis à la disposition des visiteurs. À le consulter, on voit bien que la «reprise» d'un match façon Farocki n'a rien de simple ou de banal.

Collaboratrice du Devoir

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