Routes étoilées

L'homme n'a pas de prénom, public du moins, et pendant longtemps il n'a pas eu de vie. Publique, on s'entend. Ses oeuvres, par contre, avaient toute une existence. À l'insu peut-être des passants, mais elle occupait largement notre champ de vision. Les panneaux de signalisation routière subtilement altérés — les «ARRÊT» devenus «A R T», pour nommer les plus connus — étaient de sa main.
***Maclean
Galerie Roger Bellemare, 372, rue Sainte-Catherine Ouest, espace 502, jusqu'au 15 mars.
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Aujourd'hui, Maclean est un peintre reconnu. Le voici, à son deuxième solo chez son galeriste (Roger Bellemare), avec un corpus plutôt solide et une première publication. Flirtant avec l'héritage de la tradition formaliste, revisitant avec poésie et humour la représentation du paysage, sa production a de quoi séduire. Elle évolue même de manière fort cohérente, se renouvelant (par l'utilisation de bâches, par exemple) sans renier ses premiers coups de pinceau — ou de ruban gommé.
Sur la route
Après ses interventions clandestines en ville, Maclean a continué, et continue dans un certain sens, à travailler sur ce même thème de la route et des conventions visuelles. Ainsi, premier signe notoire du changement, la signalisation routière si présente jusque-là est désormais secondaire. Les grandes oeuvres de 2007 se caractérisent pour dessiner des constellations d'étoiles. Le tir groupé que forment Hercules, Northern Landscape, Ursa Major et Tail of the Dragon apparaissent d'ailleurs comme le coeur et le poumon de l'expo.
On demeure sur la route, mais on regarde plus haut, ce que pointait déjà la petite Ciel sud, huile exposée en 2005 et de nouveau aujourd'hui. Ou, pour reprendre le commentaire d'une collègue, c'est comme si Maclean avait tourné ses yeux du bitume vers le firmament.
Les panneaux d'aluminium, en voie de disparition dans sa pratique, semblent avoir cédé leur place au tissu — tentes recyclées ou grandes couvertures dites d'emballage, selon les fiches techniques. Des matériaux propres à la réalité de l'artiste — il travaille, nous dit-on, dans le transport routier —, ces toiles étant identiques à celles qui servent à recouvrir meubles et objets.
Comme à son habitude, la galerie Roger Bellemare se montre sage et rigoureuse dans l'accrochage. À peine dix oeuvres exposées, une retenue qui sied bien à l'endroit mais qui frustre notre appétit de consommateur vorace. On ne lui en aurait pas voulu, au marchand-commissaire, de trop en mettre. Le petit catalogue publié pour l'occasion fournit amplement, par ailleurs, d'autres exemples. Pour ceux qui n'en auront pas eu assez...
C'est que la touche Maclean fait mouche à chaque coup. La préséance pour l'abstraction n'en est pas moins dotée de récits. Les surfaces jouent constamment entre illusion et matière, entre représentation et paraître. Un trou véritable ici (un oeillet métallique), une tache là; une ligne peinte, puis une ficelle prenant l'apparence de cette ligne.
La sobriété des compositions a une certaine élégance. Malgré son allure patchwork, le rapprochant si on veut de l'esthétique hip-hop, Northern Landscape impose son silence. On contemple l'oeuvre comme une nuit étoilée.
Il s'agit ici, comme ailleurs, d'un habile collage de formes plus ou moins géométriques, de couleurs, de matériaux, de textures, de procédés. Une application façon hard-edge côtoie la petite touche. La toile est à la fois support et objet ready-made. Et si Maclean souligne souvent la constellation en la dessinant de sa corde de nylon et de son acrylique, il peut aussi s'éloigner de sa représentation classique en nous la projetant par les seuls contours d'une veste.
Le Héros (Persée) se distingue par cette option, sa «veste trouvée» jouant par ailleurs sur plusieurs notes. Objet trouvé, rejeté, la veste devient, épinglée, presque sacrée. La présence d'objets reconnaissables dont il faut faire abstraction titille encore davantage notre façon de voir, de lire. Et puis, comment ne pas sentir un hommage à Betty Goodwin...
Les clins d'yeux à ses prédécesseurs font partie de la signature Maclean. Le damier de Molinari, les paysages numérotés de Charles Gagnon, le «colour field», l'hyperréalisme l'ont inspiré par le passé. Pourtant, selon son galeriste, il aurait déjà avoué ne rien connaître à l'art. Son approche serait donc totalement intuitive. Comme si ce poète autodidacte avait l'histoire dans le sang.
La (petite) sélection de Bellemare donne une bonne idée de cet oeil intuitif. Way Out et Way to Go, des tableautins de 2005 pris entre la représentation du ciel et l'expérimentation du monochrome, annoncent la série des grandes bâches de 2007. À côté de Hercules, ils (dé)montrent la logique évolution de ce travail.
Les oeuvres Look Out (Scorpion) — 2007 — et Paysage sans titre (Aquarius) — 2006 — se répondent admirablement. Entre l'évocation encore du panneau routier de l'un et l'agencement de petites abstractions de l'autre, il y a un appel à la rêverie, au plein air, à admirer dehors, la nature.
Hier clandestin, aujourd'hui coqueluche, ou presque, ce Maclean. «Presque» parce que, au fond, il manque encore quelque chose. S'il est présent ici, en galerie privée, et là, dans des expos thématiques (dont Sur la route au Musée régional de Rimouski) et des collections prestigieuses (celles du Musée national des beaux-arts du Québec), le grand solo est encore à venir.
À quand sa présence au Musée d'art contemporain?
Collaborateur du Devoir