Exposition - «Ayiti chérie»

Photo: Jean-françois Leblanc
Et s’il fallait garder une image, ce serait celle du prisonnier prenant sa douche...
Photo: Photo: Jean-françois Leblanc Et s’il fallait garder une image, ce serait celle du prisonnier prenant sa douche...

Terre de contrastes, de beauté et de pauvreté extrême, Haïti fascine et trouble en même temps. Chez Jean-François Leblanc et Caroline Hayeur, de l'Agence Stock Photo, ces paradoxes de l'île antillaise sont devenus plus d'un reportage photographique. L'exposition Comment ça va?, qui ouvre l'année de l'espace galerie à la Tohu, la cité des arts du cirque, est en quelque sorte le résumé de 20 ans de pérégrinations.

Les occasions et les raisons de ces voyages ont été multiples pour ces deux Tintin de l'image. Un enjeu politique ou une mission de l'Agence canadienne de développement international, dans le cas de Jean-François Leblanc, un projet artistique, dans celui de Caroline Hayeur.

Le premier semble même y avoir trouvé une deuxième patrie, lui qui photographie les Haïtiens depuis les premières années post-Duvalier, comme l'illustre une scène devenue emblématique: 20 hommes perchés sur un même arbre assistent à l'assermentation d'un certain Bertrand Aristide.

Haïti la charmeuse, Haïti la croyante, Haïti le drame. Les appareils photographiques de ces deux artistes aux convictions sociales ont abordé au fil des ans toutes les facettes. La joie côtoie la détresse, l'innocence d'une fille au cerceau suivant le regard des braceros (Haïtiens travaillant en République dominicaine dans des conditions proches de l'esclavage).

Dans ce désir de vouloir tout montrer, le résultat ressemble à une mosaïque. Les sujets, les manières, les époques, les discours (ici plus politisé, là plus poétique) se succèdent, noir et blanc et couleurs confondus. Impossible dans ce cas de ne pas éviter le macramé. Oui, les photos sont fortes, les associations heureuses, mais à force de changer ainsi, on ne garde que des impressions. Comment va Haïti? On ne sait trop.

Il faut dire que cette manière de juxtaposer les univers est le propre de Caroline Hayeur, elle qui mêle habilement depuis ses années de Rituel festif (série sur les raves), poésie et information, regard personnel et réalité sociale. Son Panorama haïtien (2000-02), suite bien équilibrée entre une Cité-Soleil ravagée par les milices et le quotidien happé dans la rue, est sans contredit le meilleur de l'exposition.

Dans le fond, Comment ça va? vaut pour sa, disons... légèreté. Elle propose, à l'instar de ce qu'on lit dans le journal que tend un vendeur à la caméra, un «Haïti: regards du Québec». Voici, dit l'exposition, ce qu'ont retenu deux étrangers amoureux du peuple haïtien. Le meilleur et le pire, du musicien qui clame un «Ayiti chérie» plein d'espoir (1987) à la vie en prison, sujet du plus récent reportage de Leblanc (2007).

Et s'il fallait garder une image, ce serait celle du prisonnier prenant sa douche — n'embellissons pas, l'homme se lave à coup de seaux. Moment d'intimité pour la plupart de nous, la séance sous l'eau apparaît comme celle d'une rare détente, d'une fausse libération. La seconde après, c'est le retour à la dure réalité. Belle métaphore de la part de Jean-François Leblanc qui souhaite à Haïti, dans son texte de présentation, de «conquérir sa vraie liberté».

Collaborateur du Devoir

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- Comment ça va?, exposition de Caroline Hayeur et de Jean-François Leblanc, à la Tohu, 2345, rue Jarry Est, jusqu'au 1er mars.

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