Bill Vazan : d'un trait
Les kilos s'accumulent. Le temps passe. Depuis 1961, tous les jours, Bill Vazan prend en note son poids dans un carnet. Ces annotations documentent avec on ne peut plus de précision le passage entre l'état de mi-moyen et celui de mi-lourd. C'est ce même Bill Vazan, alors plus mince, qui à partir de 1970 et jusqu'à 1973 envoie, tantôt à Londres, tantôt à Vancouver, à l'un de ses ami aussi artiste conceptuel, Ian Wallace, une carte postale avec, tracé dessus, le même trait mesurant un pouce de long.
***ÎUVRES CONCEPTUELLES DE BILL VAZAN
Vox
Jusqu'au 23 juin
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Était-ce là une façon de faire «bonne mesure» à l'époque où «les attitudes devenaient forme», pour reprendre ainsi le titre d'une exposition manifeste de l'art conceptuel? Ou simplement de dessiner autrement? Au départ, Vazan, qui aurait voulu ne jamais interrompre cette correspondance plus linéaire que littéraire, intitule cette oeuvre Lifetime. Mais après 1000 jours, il abandonne ce rituel quotidien un peu timbré.
Marathonien de l'art contemporain
Artiste conceptuel, passionné monomaniaque et stakhanoviste de la ligne droite, additionnant les repères, fasciné par les statistiques en tous genres, allumé par les routes, les itinéraires, les distances calculées en heures ou en kilomètres ou en simples traits sur des cartes, ce marathonien de l'art contemporain a tracé en mars 1971 au scotch noir au sol de musées de huit villes canadiennes, puis dans 18 villes du monde, une ligne. Il s'est proposé ensuite de réunir tous ces segments pour composer une ligne virtuelle intitulée Wordline. Arpenteur infatigable de Montréal, Vazan a aussi serpenté au volant de sa vieille Volkswagen les méandres de la route 137, qui faisait à l'époque le tour de l'île. Il s'arrêtait pour prendre une photo chaque fois qu'il voyait un panneau de signalisation indiquant le numéro de la route. Les séquences de ce périple montrent la partition des fils électriques. Elles font alterner des fragments urbains, des paysages industrialisés ou quasi ruraux. Dans cet enchevêtrement de sites industriels, d'immeubles et des trouées à travers les boisés, son tour de l'île donne à voir ce qui se précipite vers le pare-brise. La route. Les passants. Le gabarit des immeubles. Vazan capte ce qui défile et s'engouffre dans son objectif.
On peut y voir à Vox les traces de ses «tours de bus». Le 22 avril 1970, il remonte du sud au nord à bord d'un de ces poussifs autobus marron et gris de l'époque la ligne 55 sur le boulevard Saint-Laurent. Du port et ses élévateurs à grain, le ruban se déroule jusqu'à la rivière des Prairies. Son itinéraire forme un «T» sur le plan de Montréal. Sur la pellicule, la «Main» et ses mille communautés font place à des presque banlieues plus verdoyantes. D'immenses voitures antédiluviennes de l'ère du noir et blanc, avec leur toit de vinyle et leur coque en forme de fuselage, chaloupent leurs ailerons chromés. Pour la même oeuvre, Vazan emprunte la ligne 137 rue Notre-Dame. Il photographie encore une fois chaque intersection dotée d'un feu de circulation.
D'une éclipse à l'autre
Fasciné par l'autobus, Vazan, très underground, aime aussi les parcours en métro, qu'il intègre à la routine de ses exploits quotidiens. À chaque station du métro de Montréal et de Toronto, il photographie les horloges indiquant l'heure pour ensuite les mettre en relation avec des tickets de correspondance. Y est imprimée aussi comme «preuves» l'heure de son passage. Des schémas documentent ces trajets. Au début des années 70, à la galerie Véhicule — Vazan en est l'un des fondateurs —, il se concentre sur les éclipses solaires dans le ciel montréalais. La dernière a eu lieu en 1932. On attend la prochaine pour 2205. De cette première inspiration astronomique découlent ses interventions s'orientant par la suite vers le land art.
«Je me foutais au départ de toutes ces étiquettes. Jamais je ne me suis alors posé la question pour savoir si ce que je faisais était de l'art conceptuel, du land art ou du mail art», rappelle aujourd'hui l'artiste. L'exposition de ces oeuvres de jeunesse chez Vox témoigne de toute l'énergie et de la fraîcheur d'une époque.
Collaborateur du Devoir