Fabrication du réel

Il faut profiter du dernier week-end de calme avant la frénésie des Fêtes pour faire un saut du côté du Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ). En plus de l'impressionnante collection Ghez — qu'on doit voir, ne serait-ce que pour les oeuvres de Tsuguharu Foujita et de Bernard Buffet —, l'institution vient tout juste d'inaugurer Machinations et Acquérir pour grandir, deux expositions faisant la part belle à l'art actuel.
Québec — Avec Machinations, le MNBAQ poursuit en force son action en art actuel amorcée en 2002 avec la création d'un poste de conservateur spécialement dédié à la production d'aujourd'hui. Après avoir accueilli le travail de Claudie Gagnon, BGL et Diane Landry, pour ne nommer qu'eux, le Musée ouvre maintenant ses portes à une création de l'artiste pluridisciplinaire Michel de Broin.«Pour le musée, c'était tout naturel de convier Michel de Broin à exposer, explique la conservatrice en art actuel du MNBAQ, Nathalie de Blois. C'est notre volonté d'encourager et de donner une visibilité aux jeunes artistes en art actuel qui ont fait leurs preuves dans le milieu des centres d'artistes.» Question de preuves, celles de De Blois ne sont plus à faire. Primé à de nombreuses reprises, notamment par le prix Graff en 2006 et par le prix Pierre-Ayot en 2002, son travail a été vu au Québec, au Canada et à l'étranger, entre autres en Allemagne, en France, aux États-Unis, en Serbie et Monténégro et en Nouvelle-Zélande.
«On jugeait que sa pratique depuis plus d'une dizaine d'années avait la profondeur, le sérieux, la cohérence et la consistance nécessaires à la présentation d'une exposition solo au musée», poursuit la conservatrice. Les Montréalais peuvent d'ailleurs découvrir certaines des oeuvres publiques de l'artiste sur l'île. C'est notamment de Broin qui a conçu Révolutions, les escaliers d'aluminium torsadés à la manière du ruban de Möbius qu'on peut voir à la sortie du métro Papineau, et Entrelacement, un segment chaotique de piste cyclable apposé à celle du canal de Lachine.
Ces deux oeuvres reflètent bien l'intérêt de l'artiste pour la dérivation des fonctions. «Je suis fasciné par la construction de ce qu'on appelle réalité, confie Michel de Broin. Comment, par le discours, on donne un sens d'interprétation aux choses et comment ce sens peut être perverti.» Pour Machinations, l'artiste a choisi de travailler sur les théories du complot. «Ce qui est captivant dans ces théories, c'est toute la créativité déployée pour investir les faits et leur donner un autre visage.»
Parler du politique
Afin de développer son propos, non sans une certaine ironie, l'artiste a décidé de créer sa propre théorie du complot. L'Engin, une imposante sculpture oblongue et creuse rappelant à la fois un moteur d'avion et un obus, est la pièce maîtresse de Machinations. «J'ai voulu rappeler l'attaque terroriste du Pentagone en 2001. Malgré les recherches, on n'a jamais présenté de morceaux permettant d'identifier l'avion qui l'a percuté. Cette absence de preuves a entraîné de nombreuses théories sur ce qui s'est véritablement produit. De la même façon, j'ai imaginé que L'Engin a forcé son chemin pour entrer au musée.»
À sa manière, l'oeuvre permet à de Broin de parler du politique. «Je m'intéresse aux flux de pouvoir et à la résistance. Pour moi, il y a une tension dialectique immanente entre l'oeuvre et le discours l'accompagnant. L'oeuvre n'a naturellement pas perforé les murs du musée, la justification que je fournis est donc impossible. J'ai pourtant créé des documents qui prouvent le contraire! En fait, je ne cautionne par les théories du complot. Cette exposition rappelle simplement que la version "officielle" de la réalité est une lecture particulière des faits et, par là même, une fabrication.»
Apportez votre maillot!
Du même artiste, on pourra également découvrir au musée Monochrome bleu. Toujours dans l'esprit du détournement, de Broin a transformé cette fois une benne à ordure en bain-spa totalement fonctionnel. Tellement fonctionnel que les visiteurs sont conviés à une baignade! Il suffit de faire une demande à monochromebleu@mnba.qc.ca. Au moment de mettre sous presse, la relationniste du musée confirmait que personne parmi le public n'avait encore osé faire trempette... beau week-end pour y remédier!
Une fois séché, on ne manquera pas de visiter Acquérir pour grandir, une exposition dont fait d'ailleurs partie Monochrome bleu. L'institution y présente 230 oeuvres tirées des 5500 qui sont venues enrichir les collections du musée depuis 2000. Avec des créations d'Ozias Leduc, Jean-Paul Riopelle et Rita Letendre côtoyant celles d'artistes actuels comme Claire Savoie et Michel Goulet, c'est à un voyage inspiré au coeur de l'art québécois de 1750 à nos jours que nous convie Acquérir pour grandir.
Machinations
Acquérir pour grandir
Jusqu'au 15 avril 2007 au MNBAQ
Parc des Champs-de-Bataille
Québec
Tél: (418) 643-2150
www.mnba.qc.ca
Collaborateur du Devoir