De Visu - Promenades entre les branches
THICKETS
Lawrence Beck
Galerie Projex
Jusqu'au 5 novembre
Traitant ce sujet par une série de photographies, le plus souvent verticales et de format à peu près identique, Beck a produit ces tirages en noir et blanc qui étonnent par leurs tonalités si nettes au sélénium et la qualité des gris et des noirs. Chaque photo a pour titre un chiffre romain.
Le résultat de toutes ces battures à travers les fourrés, objectif en bandoulière, apparaît au départ ultra-classique. Les centaines de branches en tous sens évoquent un foisonnement organique. L'absence de feuilles, toutefois, privilégie les curvilignes sèches des branches en méandres qui s'allongent selon une linéarité imprévisible. Séduits par la qualité plastique de ces tracés, suivant ces déroulements et les tournoiements tordus de ces futaies, on se sent vite aspirés dans une curieuse dynamique «boomerang».
Peu à peu, nous voici happés par les qualités graphiques de ce qui nous apparaît comme les mailles d'un réseau pictural. Ces ramures, ces sarments, ces lianes qui se percutent en enveloppant le fond de ciel finissent par apparaître comme autant de coups de pinceau sinueux et dégoulinant sur une toile, si bizarrement proches des drippings expressionnistes. À contre-cliché, ces tirages traditionnels transportent ainsi avec fougue un mouvement, comme un avant-goût de peinture abstraite et gestuelle. Loin des parcs nationaux qui se veulent autant de sanctuaires protégés, Lawrence Beck, notamment par cette référence «cultivée» à la peinture, propose en même temps une vision esthétisée de ces zones en jachère, sauvages et quasi à l'abandon mais voisines pourtant d'une mégapole comme New York.
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DE PIERRE ET DE PAPIER
Éric Daudelin
Maison de la culture Rosemont-Petite Patrie
Jusqu'au 16 octobre
Éric Daudelin est aussi un artiste qui prend à rebrousse-poil les représentations prémâchées de la nature. Fruits de ses déambulations, ses oeuvres, comme autant de petites leçons de choses, étonnent et émerveillent.
Daudelin glane lors de ses cueillettes ses matériaux insolites. Un jour, c'est une fève de faux acacia qu'il ramasse. Ce végétal qui mesure 20 cm à l'origine est agrandi puis suspendu dans l'espace de la galerie. En papier kraft, la forme qui en résulte ressemble à une sculpture de Jean Arp. Ailleurs, des petites tiges aussi fragiles d'hibiscus sont cousues de fil de blancs. De longues tiges de marronnier sont enserrées dans du fil à coudre. Des samares au vent atterrissent sur une feuille de papier ensuite moulée et gaufrée. Les traces de grains de sable se retirant avec la mer laissent ailleurs de fines empreintes sur une feuille de papier. S'alliant une fois de plus avec la nature, Daudelin fait travailler pour lui du métal oxydé. La corrosion crée des impressions inédites qui se déposent sur une feuille. Des pierres sont serties de triangle en métal ou en agates fines pour évoquer des Vénus africaines. Proches aussi des «arts premiers», de longues lanières de roseaux, collées à la cire, arborent une écriture secrète. Minuscules, des ressorts de briquets accumulés construisent une sculpture ingénieuse. Feuilles, plantations, pierres, tracés d'ardoises, objets recyclés, tout chez Éric Daudelin devient prétexte à ses interventions. Ici, rien de lourd ou de massif. Le fugitif, le transitoire, la légèreté du végétal semble se fixer à ces dessins, à ces formes si multiples, à ces «sculptures trouvées» qui appréhendent l'espace dans l'expérience de la nature.
Encore une fois, la nature, dirait Oscar Wilde, imite l'art! En fait, celle-ci, reprenant ses droits, impose une autre échelle, d'autres mesures, un autre rythme, un autre regard. Les commentaires écrits de l'artiste et la présentation de ses outils de travail accentuent, hors de tout système, l'aspect «exploration» de ces oeuvres où le sujet compte autant que l'expérience qui l'a rendu possible. Ce point de vue à la fois concret et abstrait apporte un appui au discours poétique. Un nouvel imaginaire émerge dans ce qui est là autour de nous, à travers toutes ces petites choses que l'on ne remarquerait même pas autrement.
Collaborateur du Devoir