Qui se cache derrière ce regard ?

Qui était Suzor-Côté au juste? Un mondain ambitieux et extraverti. L'art de se faire valoir en société a toujours été un de ses principaux atouts. René Lavergne citera l'artiste: «Pour vendre, me disait-il, il faut sortir dans le monde, se mêler aux gens riches». Alfred Laliberté parlera d'un inculte, capable pourtant de discourir sur un sujet sans le connaître ou de parler d'un livre sans même l'avoir lu. Suzor-Côté, séducteur ou imposteur?

Provocateur, Suzor-Côté, dit-on, aimait surprendre l'auditoire par quelques plaisanteries familières. Il était également amateur de grivoiseries proférées en présence des dames. Vantard, frondeur ou froussard, voilà des traits qu'on lui prête. Sa famille occupe un rang élevé au Canada. Ses tableaux prennent place dans les principales collections de Montréal, de Québec ou d'Ottawa. Selon Rodolphe Duguay, son élève et assistant, l'homme avait quelque chose du mythomane poseur et arrogant. Comme le signale Laurier Lacroix, «son amour-propre l'a réduit, lui si mondain, à mener une carrière solitaire, sans se mêler aux groupes, associations et regroupements qui commençaient à structurer la vie artistique canadienne». Le personnage public l'empêche souvent de se concentrer sur l'oeuvre qu'il porte en lui. On le dit immature, don Juan, nerveux et instable. Un journaliste de L'Autorité en 1914 confirmera sa personnalité émotive et agitée: «[...] monsieur Suzor-Côté, [...] dont nous avons, au vol, saisi les opinions, [...] se promenait vivement, ponctuant ses paroles de gestes énergiques et de sourires émus».

À maintes occasions où il tente de briller en public, Suzor-Côté oppose aussi un naturel solitaire. C'est dans son village d'Arthabaska qu'il trouve le calme et la tranquillité nécessaires que lui demande son travail d'artiste.

Toujours selon Lacroix, dans le prologue de Suzor-Côté. Lumière et matière: «Le développement du capitalisme et de l'esprit d'entreprise qui caractérise la croissance d'une ville comme Arthabaska, la présence d'une élite locale et les valeurs sociales qu'elle impose, le contexte d'émergence d'une région et la création d'un nouveau pays, puis d'une nouvelle puissance politique, dont les Côté connaissent personnellement le premier ministre, mais également des modèles d'artistes qui ont réussi, tels ses professeurs académiciens ou, plus près de lui, le sculpteur Louis-Philippe Hébert, tous ces éléments ont influencé la façon dont Suzor-Côté a organisé les différentes étapes de sa vie.»

Par ailleurs, l'artiste nourrit une grande inquiétude quant à la valeur et l'intérêt de son oeuvre. En août 1901, lors d'un discours qu'il prononce à Arthabaska, il déclare: «Je suis, passant par Paris incomparable, devenu peintre, c'est vrai mais il me reste encore beaucoup à faire [pour] devenir un artiste.» Contrairement à un homme comme Ozias Leduc, Suzor-Côté ne s'est jamais vraiment intéressé aux aspects théoriques de l'art. Il ne sera pas, non plus, à l'avant-garde des courants esthétiques de son époque. Il compose pourtant avec la polyvalence du peintre et du sculpteur, tout comme la couleur ainsi que l'exploration des matériaux dépassent parfois le sujet lui-même. On peut désormais le considérer, à juste titre, comme l'ancêtre de Pellan ou de Riopelle.

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