Art contemporain - L'artiste ivre de peinture
Au cours d'un bref entretien, l'organisateur de la manifestation, le peintre et dessinateur Marc Séguin, remonte le fil des événements et nous raconte le plus simplement du monde comment il a réussi à présenter sur deux étages la production artistique d'une vingtaine de jeunes artistes peintres de Montréal. Et surtout, il nous explique comment il a pu boucler l'opération — ou l'exploit — sans la contribution des partenaires habituels: pas de commanditaire, pas de subvention et pas de gouvernement, comme il est clairement indiqué sur le carton d'invitation. Il convient toutefois de préciser que cette «exposition de peinture montréalaise» a été rendue possible grâce à la générosité d'un mystérieux collectionneur et mécène. Par ailleurs, l'expo n'a rien à voir non plus avec la Biennale de Montréal. Marc Séguin compte bien tirer avantage de l'impulsion donnée par la biennale, mais il ne voit pas son initiative personnelle comme un «off biennale», comme on a pu le laisser entendre à quelques reprises dans le milieu.
Selon Marc Séguin, Montréal est une terre promise pour les artistes canadiens. Lors de ses nombreux voyages dans l'ouest du pays, où il expose régulièrement, Séguin s'est lié d'amitié avec la bande de Marcel Dzama, artiste qui participe à la Biennale de Montréal et qu'il appelle avec un brin d'admiration «la star internationale». Ce dernier est originaire de Winnipeg et, comme plusieurs de ses comparses, il vit maintenant à Montréal. Il y aurait ainsi en ville une communauté d'artistes provenant d'horizons variés qui pratiquent un art aux contours de plus en plus flous mais que l'on nomme encore avec persistance et attachement «peinture». En dépit du caractère quelque peu régressif de ce parti pris disciplinaire, et même si l'approche prête flanc à la critique depuis quelques années déjà, il insiste sur le fait que, si ces artistes continuent à faire de la peinture, c'est parce qu'ils y croient et que c'est précisément cette force de conviction qui crée un espace dynamique et propice à l'exploration de la peinture.Toujours selon Séguin, l'engouement envers les nouvelles technologies s'essouffle déjà et c'est la raison pour laquelle on assiste aujourd'hui à un ressac de la peinture des plus vivifiants. En jouant son rôle improvisé de rabatteur de nouveaux talents, l'artiste ivre de peinture a pu visiter près de quatre-vingts ateliers. C'est à partir de ces visites que Séguin a sélectionné une vingtaine d'artistes et près d'une centaine d'oeuvres, et cela de manière strictement instinctive et sans observer de critères préétablis.
Voyons maintenant ce que sa collecte d'oeuvres donne une fois étalée sur les cimaises et rendue publique. En parcourant les deux grandes galeries de l'exposition, ce qui vient spontanément à l'esprit — à part le fait que l'oiseau semble un beau sujet en peinture chez beaucoup de peintres à Montréal —, c'est une certaine candeur, pour ne pas dire naïveté, par rapport à la discipline mise à l'honneur. Ils ont beau être jeunes, peu ou pas connus (quoique certaines figures, comme Sylvain Bouthillette, Séguin lui-même et Jérôme Bouchard, ne sont plus d'illustres inconnus), une chose est certaine, cette jeune génération de peintres ne casse pas la baraque. Ils se conforment même, pour la plupart, à plusieurs de ses conventions. Aussi, c'est à regret que l'on constate une soumission aux cadres et limites fixés par des siècles d'histoire qui finit par produire une tenace impression de conformisme généralisé. Heureusement, plusieurs artistes ne participent pas au climat d'assagissement qui prévaut et s'écartent de la norme de belles façons. C'est le cas, notamment, de la bande de Marcel Dzama, dont il a été question plus haut, un petit groupe d'artistes originaires de Toronto et de l'école de Winnipeg, si une telle école existe vraiment. En ce qui les concerne, on peut parler d'agréables découvertes à se mettre sous la dent.
Paul Zacharias peint des tableaux d'une telle blancheur qu'ils se confondent presque avec les cimaises qui les supportent. Discrète et subtile, sa peinture parvient à s'imposer par la retenue de ses thèmes et l'économie de ses signes: un buste pensif qui broie des étoiles (Sorting Rotor), un évier liquide et flasque perdu dans l'espace de la toile (I'm Afraid of the Dark Without You Close to Me), ou encore, et c'est sans doute le plus beau de ses tableaux, un pâle tube digestif abouté à un goulot de bouteille à peine esquissée (Swallowing Tube, etc., etc.). Perry Thompson parvient, lui aussi, à nous convaincre que la peinture ne souffre pas d'être confinée à ses supports traditionnels. Sur fond de panneaux de contreplaqué trouvés, il déploie et invente une panoplie d'extravagants personnages: une armée de minuscules et frêles petits guerriers à demi-nus (The War), un gisant emmitouflé dans un cocon craquelé (Sleeping). Toutes ces figures sont fermement fixées à la surface du support à l'aide de larges rubans gommés transparents. Sarah McKiel, quant à elle, rehausse des photographies en couleurs d'interventions grossièrement peintes. Le motif de l'aigle semble jouer une fonction symbolique particulière. Un triptyque pratiquement indéchiffrable. À cet hermétisme un peu agaçant, Max Wyse oppose une figuration plus explicite et utilise pour sa part une technique exigeante. Ses allégories peintes au dos de feuilles de Plexiglas ne laissent pas indifférents par leur aspect début de siècle gangrené par les conflits de toutes sortes. Lunus E. Lunus est le titre d'une composition formée d'un croissant de lune, d'un combattant et... d'un oiseau de proie, décidément! To a Burning Desert Offering Milk est une composition encore plus crue. Tel un vestige de caravane à bout de souffle, un chameau monte un humain dont la tête décapitée sert d'oriflamme. Un peu lugubre tout de même.
Pour terminer, c'est à Adrian Williams que nous pourrions décerner le premier prix de cette exposition qui ressemble à s'y méprendre aux foires qu'organisait autrefois l'Association des galeries d'art contemporain de Montréal. D'abord, contrairement à la plupart de ses voisins, Williams ne se prend pas trop au sérieux. Ce détachement qu'il affiche tranche agréablement avec l'ensemble des autres participations et c'est peut-être aussi ce qui explique le vent de liberté créatrice qui souffle quand on passe devant son accrochage un peu spécial. Dreams of the Sleeping Sailor est un collage sur fond pelucheux qui se présente comme une joyeuse chronique sur le thème du matelot ivre. À moins qu'il ne s'agisse d'une auto-fiction? Quant à l'oeuvre sur papier qui clôt son espace (To Men She Has Loved With Only Her Eyes), il s'agit d'une cascade de fabliaux qui tombent jusqu'au sol et dans lesquels sont représentés une multitude de sujets clichés comme tout: partir seul en radeau, par exemple, vivre sur une île déserte... De pures délices pour l'oeil et un ravissement pour l'esprit.