L'ami peintre

Un grand peintre, un grand artiste meurt. Dans les semaines, les mois qui suivent, admirateurs, critiques et journalistes se lancent sur ses traces encore chaudes, se précipitant sur les lieux d'une dernière exposition, y allant chacun d'un petit commentaire, d'un petit éloge.

Puis, une fois le premier émoi passé, le temps vient pour les proches d'amorcer un véritable deuil. C'est alors que paraissent les livres, ces ouvrages de plus longue haleine qui laisseront une trace durable de l'homme au-delà de la rumeur ambiante.

Alors que vient de se clore au Musée des beaux-arts de Montréal la rétrospective des oeuvres de Jean-Paul Riopelle, paraissent ces jours-ci plusieurs livres évoquant l'univers du peintre.

Au premier chef, mentionnons le très joli Chez Riopelle, visites d'atelier, signé par Lise Gauvin et paru à l'Hexagone. Écrivain, critique et professeur, Lise Gauvin a connu et fréquenté Jean-Paul Riopelle durant une vingtaine d'années.

Son petit livre relate une série de rencontres entre eux, survenues à Vétheuil, en Île-de-France, à Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson et à l'île aux Grues. Le ton est vivant, et on retrouve dans ses lignes l'homme entier, content ou déçu, l'homme aux souvenirs vivaces des Breton ou Matisse qu'il a fréquentés en France, qui gardaient des Picasso au pied de leur lit, ou qui buvaient un coup au bistrot du coin. On retrouve aussi le peintre qui, à la fin de sa vie, entretenait des idées suicidaires et qui disait, au sujet de la préparation de l'album Le Cirque, devant contenir des planches de ses gravures, que «tout cela lui était bien égal».

Dans l'intimité de l'écrit, au-delà des caméras de télévision, on sent un homme généreux de sa personne, de sa mémoire aussi, qui accepte sans réserve de se remémorer son père qui dessinait beaucoup, ou ses jeunes années à l'École des beaux-arts et à l'École du meuble, ou encore l'élaboration du manifeste Refus global, pour lequel, précise-t-il, Borduas avait été très déçu de ne pas récolter plus de signatures. Et on se découvre une sympathie chaleureuse pour ce conteur, cet homme pour qui les horaires n'avaient aucune importance, cet homme qui disait que, s'il savait quelle était la chose qu'il peignait depuis des années, il ne peindrait plus. Cet artiste qui disait aussi, au moment de terminer la fresque La Dame de pique: «Il y en a des coups de crayon là-dedans. Quatre mois et demi sans sortir de l'atelier. Je croyais en avoir terminé la moitié [où se trouvent les soleils jumeaux], mais je ne pouvais finir sur ces tableaux, alors j'ai continué. Je ne ferai plus d'expositions sans cette fresque.»

Ces récits comptent aussi un certain nombre d'anecdotes qui font découvrir le personnage sous les traits d'un ami. Riopelle, par exemple, admirait les pêcheurs à la ligne (dont le champion du genre, Paul Marier), affirmait avoir pêché toute sa vie et, dans sa jeunesse, avoir même pêché sans hameçon.

«Je lançais une pierre au bout d'un fil, se souvient-il. C'est le geste qui compte, c'est une certaine perfection du geste, un certain accord avec le monde et ça va très loin. J'ai un ami, grand pêcheur, qui parle aux poissons. Je voudrais être comme lui en peinture.»

Aussi avait-il demandé à Lise Gauvin de retracer un Traité de la pêche à la ligne écrit par une religieuse portugaise au XIVe siècle.

«Comment ne pas le soupçonner d'avoir inventé cette fiction? écrit Gauvin. Mais j'avais assez fréquenté Riopelle pour savoir que, dans sa vie aussi bien que dans son discours, les histoires les plus invraisemblables pouvaient se révéler les plus vraies et le mythique savait y faire bon ménage avec le quotidien.»

De fait, Lise Gauvin dénichait un peu plus tard, dans une bouquinerie de Paris, un Traité de la pêche à la ligne écrit, non pas par une religieuse portugaise, mais par une religieuse anglaise du XVe siècle répondant au nom de dame Juliana Berns. Celle-ci suggérait notamment de ne pas «se montrer trop avide à capturer le poisson et en prendre trop à la fois [...]. Le résultat serait de détruire votre propre plaisir et celui des autres pêcheurs».

La peinture de Riopelle est moins un art de peindre qu'un art de vivre, note Gauvin. Et «cet art de vivre emprunte à la pêche à la ligne sa gravité silencieuse et sa séduction», écrit-elle.

Au même moment, le Musée du Québec fait paraître un conte pour enfants de Gilles Vigneault, Songo et la liberté, conçu d'après l'oeuvre de son ami Jean-Paul Riopelle. Ainsi, Songo, le singe, Dame Patience, la tortue, Vigile, le hibou, Ombrette, l'oie, tous directement sortis de l'oeuvre de Riopelle, prennent vie pour créer l'univers d'un petit singe qui vient d'arriver au Québec. Ensemble, ils comploteront l'évasion d'un zoo. L'histoire est illustrée d'huiles, de lithographies, d'eaux-fortes et de sculptures de Riopelle tirées des collections du Musée du Québec.

Ce bestiaire animé ferait sans doute la joie du peintre, qui s'abreuvait de nature et de liberté. «On sait combien il était épris de liberté et quelle horreur il avait des contraintes», écrit John R. Porter, le directeur général du Musée du Québec, dans l'avant-propos.

Le musée a d'ailleurs fait paraître cet été La Collection Riopelle du Musée du Québec, Histoire brève et morceaux choisis, signé par John. R. Porter, où l'on trouve des reproductions d'oeuvres datées entre 1944 et 1996, et dont la dernière s'intitule Le Testament de l'Oie.

Enfin, Leméac éditeur publie un recueil de textes de René Viau portant sur Riopelle, textes ayant déjà paru dans des journaux et des revues, de 1977 à 2002. Le premier de ces textes, qui est aussi le premier que l'auteur ait publié, rappelle l'atelier du peintre, tout orné des figures de son bestiaire. Viau y note: «[...] les portes à silhouette d'oie, la table en forme de tortue, les bancs de la salle de séjour ont été dessinés par Riopelle qui y a partout intégré ses chers motifs animaliers».

«Le pays, c'est quelque chose que l'on porte en soi», avait dit Riopelle à Viau en 1992. On peut quand même souhaiter au peintre qu'il reste quelques oies au paradis.

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CHEZ RIOPELLE, VISITES D'ATELIER
Lise Gauvin
L'Hexagone
Montréal, 2002, 66 pages

SONGO ET LA LIBERTÉ
Gilles Vigneault
Musée du Québec
Québec, 2002, 42 pages

LA COLLECTION RIOPELLE DU MUSÉE DU QUÉBEC
Histoire brève et morceaux choisis
John R. Porter
Musée du Québec, Québec, 2002, sans pagination

JEAN-PAUL RIOPELLE - LA TRAVERSÉE DU PAYSAGE
René Viau
Leméac éditeur
Montréal, 2002, 145 pages

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