Festival d'Avignon - Le magicien de la Voïvodine
Avignon — Deux hommes s'avancent autour d'une table. Ils jouent avec des balles de ping-pong qui résonnent sur de petites cymbales. Lentement, ils explorent les sons. L'un des deux se met à la batterie, l'autre commence à bouger. Voilà posé le décor simple et dénudé d'une des oeuvres les plus abouties du chorégraphe et danseur Josef Nadj et qui représente certainement l'une des plus belles réussites de ce 59e Festival d'Avignon.
Last Landscape est inspiré d'un espace désertique situé à quelques kilomètres de Kanizsa, la ville natale de ce chorégraphe né en Voïvodine (ex-Yougoslavie) et aujourd'hui directeur du Centre chorégraphique national d'Orléans. Nadj y a toujours vu une sorte de paysage originel revêtant une dimension mythique. On ne voit pourtant rien des paysages de l'ex-Yougoslavie dans Last Landscape. Seulement deux hommes: un danseur, qui n'est autre que Nadj lui-même, et le batteur Vladimir Tarasov.Les deux hommes apprennent lentement à travailler ensemble. L'un découvre les sons, l'autre le mouvement. Les gestes du danseur, qui a développé un langage propre, sont reconnaissables entre tous. Dans leurs vestons trop grands, avec leurs masques de clowns, les danseurs de Nadj ont toujours eu l'air de pantins désarticulés. Leur façon de longer les murs et le sol laisse transpirer une maladresse profondément humaine et poétique.
Dans la petite chapelle du lycée Saint-Joseph, il est exactement minuit lorsque le magicien de la Voïvodine entraîne son public dans ses songes. Le danseur va d'abord marquer son espace dans des gestes d'une rare précision. Il va ensuite dessiner en dansant sur un tableau noir, puis sur un panneau derrière lequel il disparaît et réapparaît. Enfin, dans un geste grave, il se dessinera lui-même en renversant de l'encre noire sur sa chemise immaculée.
Il y a là comme une tristesse qui ne gâche pourtant jamais le plaisir de voir bouger Nadj tel un homme, maladroit comme nous tous, qui cherche son chemin. On sort de cet étrange ballet surréaliste avec la conviction que c'est ainsi que le premier homme a dû inventer un jour le mouvement, puis dessiner le paysage. La musique, elle, étant probablement là de tout temps.
Tous les artistes n'ont pas le même don de dire simplement des choses simples. Le spectacle-performance que présente la plasticienne serbe Marina Abramovic est beaucoup plus torturé. Cette pionnière de l'art corporel (body art) née en 1946 à Belgrade parcourt le monde depuis plusieurs années avec un spectacle intitulé Biography. Remis en scène pour Avignon par Michael Laub, The Biography Remix retrace sur scène le parcours de femme de Marina Abramovic ainsi que les performances et les vidéos qu'elle a réalisés depuis le début des années 1970. Certaines de ces performances ont duré jusqu'à 12 jours, d'autres à peine 15 minutes.
The Biography Remix dessine avec humour les grands moments de la carrière de celle dont les oeuvres ont été montrées aussi bien à la Biennale de Venise qu'au musée Guggenheim. Difficile de ne pas être fasciné par certaines d'entre elles, comme cette vidéo qui montre son visage cent fois fouetté par les vague de la mer. Chaque fois son corps est exposé. Le spectacle s'ouvre d'ailleurs sur une scène frappante où Abramovic est suspendue dans les airs, les seins nus, tenant dans ses mains deux serpents vivants. Comme s'il fallait pour que l'art existe que les émotions soient toujours ressenties dans la chair même de l'artiste. On parcourt tour à tour ses amours, ses déceptions et les grands moments de sa carrière. Abramovic fait intervenir une douzaine de figurants, dont le fils de son ancien compagnon, le performer allemand Ulay.
Il y a beaucoup d'autodérision et une certaine nostalgie dans ce spectacle néanmoins terriblement nombriliste. Tous les artistes n'ont pas le talent de Josef Nadj, qui parvient à parler de lui en donnant étrangement l'impression de parler de nous tous. Joseph Nadj sera le directeur associé du Festival d'Avignon l'an prochain. S'il faut se fier à sa dernière oeuvre, la moisson devrait être très prometteuse.
Correspondant du Devoir à Paris