51e Biennale de Venise - Peu d'artistes d'ici

Seulement deux artistes de la côte ouest représentent le Canada à la Biennale de Venise, l'artiste autochtone Rebecca Belmore au pavillon du Canada et le vidéaste vancouvérois Stan Douglas dans l'exposition internationale L'Expérience de l'art. La qualité de ces deux oeuvres parvient difficilement à faire oublier la faible représentation canadienne et l'absence du Québec dans l'événement le plus important (avec la Dokumenta de Cassel) de la scène internationale de l'art contemporain.

Une biennale féminine et décentrée

Pour la première fois dans l'histoire de la Biennale de Venise, la direction du volet international est à la fois bicéphale et féminine: ce sont les Espagnoles María de Corral et Rosa Martínez qui ont organisé les deux grandes expositions internationales du pavillon italien et de l'Arsenal. Pour ceux qui ne l'auraient pas remarqué, le collectif des Guerrilla Girls rappelle aux visiteurs que près de 40 % des artistes exposés cette année sont des femmes, bien plus que les 10 % des éditions précédentes. Si l'on ne peut que se réjouir de ce rattrapage, on est par contre en droit de regretter — de Louise Bourgeois à Mariko Mori en passant par Jenny Holzer — les choix un peu convenus des commissaires. À côté de la féminisation du volet international, l'autre point saillant de la 51e Biennale est la force des oeuvres présentées dans les pavillons des «petites nations» situés à l'extérieur des Giardini di Castello, réservés aux seuls pavillons permanents des grands pays (voir Le Devoir du 16 juin).

Dix ans après l'artiste métis Edward Poitras, c'est au tour de Rebecca Belmore, une artiste anishinabe qui vit à Vancouver, de représenter le Canada. Ce choix reflète particulièrement bien la double orientation de la 51e édition: féminisation et périphérie. Car l'art contemporain autochtone, malgré certains coups de projecteurs officiels, occupe encore une place périphérique dans le monde de l'art. Il suffit de comparer le nom encore peu connu de Rebecca Belmore, dont on a pu voir le travail cet hiver dans l'exposition Au fil de mes jours au Musée national des beaux-arts du Québec, avec celui de ses illustres prédécesseurs du pavillon du Canada — la Montréalaise Jana Sterbak en 2003, les Albertains Janet Cardiff et George Bures Miller en 2001 —, pour s'assurer que les artistes autochtones souffrent encore d'un déficit de reconnaissance.

Une épine au pied

Pourtant, Belmore appartient à une génération d'artistes autochtones (Edward Poitras, Shelley Niro, Carl Beam, Ron Noganosh...) qui pourrait bien se révéler être la deuxième «école», avec celle de Vancouver (Jeff Wall, Stan Douglas, Ken Lum...), de l'art contemporain canadien. Si tous ces artistes ont pour point commun de placer la perte de l'identité culturelle au coeur de leur démarche artistique, les performances et les installations de Rebecca Belmore se distinguent par un engagement très direct qui laisse peu de place à l'humour et à l'ironie présents généralement chez les autres artistes autochtones.

Le titre de l'installation vidéo de Venise, Fountain, clin d'oeil au célèbre urinoir de Marcel Duchamp, cache une oeuvre empreinte de gravité qui interpelle le spectateur en lui sautant littéralement au visage. Dans la bande vidéo de l'installation, on voit l'artiste se débattre dans la mer pour y puiser de l'eau à l'aide d'un seau qu'elle vient ensuite jeter sur la caméra placée sur la rive, mais dans le transport l'eau s'est transformée en sang. L'effet d'implication du spectateur est d'autant plus réussi que la bande vidéo est projetée sur un rideau d'eau qui sert ici d'écran. À la fin de la vidéo, par contamination de l'image et de l'écran, la fontaine d'eau vénitienne s'est transformée en fontaine de sang. Cette oeuvre qui mêle les thèmes de la tradition amérindienne, les revendications écologiques et l'esthétique contemporaine (performance et installation) est un bel exemple de la vitalité de la création autochtone contemporaine.

L'autre artiste canadien de la Biennale est Stan Douglas, invité dans l'exposition internationale L'Expérience de l'art. Après ses déboires de 2001 (son installation Le Détroit n'avait pas pu être montée), le vidéaste vancouvérois revient à la Biennale en présentant un film de 35 minutes, Inconsolable Memories, remake de Mémoires du sous-développement (1968) du cinéaste cubain Tomas Gutiérrez Alea. Par un jeu subtil de répétitions et de décalages entre plans-séquences et voix hors champ, Douglas nous conte l'histoire d'un homme dont la vie est hantée par le regret de ne pas s'être, comme ses amis, exilé aux États-Unis.

Si le film de Stan Douglas est une réussite, il est difficile d'oublier qu'il s'agit de la seule oeuvre canadienne du volet international de la Biennale. Ceci s'explique en partie par le fait que les deux commissaires ont choisi de n'inviter que quatre-vingt-dix artistes, deux fois moins qu'en 2003. D'autres explications, dont la faiblesse du marché de l'art canadien, entrent certainement en ligne de compte. Voilà en tout cas une épine dans le pied du Conseil des arts du Canada et du ministère fédéral des Affaires étrangères, qui ont signé en 2002 une entente pour une meilleure présence des artistes canadiens sur la scène internationale. On peut toujours se consoler en pensant que les Français, représentés dans la section internationale par le seul Bernard Frize, n'ont pas fait mieux...

Collaboration spéciale

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Biennale de Venise

Jusqu'au 6 novembre 2005

www.labiennale.org

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