Claude Cormier, un «visionnaire» de l’architecture de paysage, n’est plus

L’architecte paysagiste québécois Claude Cormier s’est éteint vendredi, à l’âge de 63 ans. Il laisse en héritage des installations iconiques qui ont marqué la ville de Montréal, telles que l’anneau d’acier de 30 mètres de diamètre inauguré en 2022 qui couronne l’esplanade de la Place Ville Marie, la plage de l’Horloge et le square Dorchester.
M. Cormier, reconnu internationalement et récompensé par de nombreux prix, est mort à la suite de complications du syndrome de Li-Fraumeni, une maladie génétique rare qui augmente les risques de développer différents types de cancer, a annoncé la firme CCxA.
Cette dernière a été fondée par l’architecte en 1994, d’abord sous le nom de Claude Cormier architectes paysagistes, qui deviendra ensuite Claude Cormier + associés en 2011, puis finalement CCxA en 2022. Sophie Beaudoin, coprésidente de l’entreprise, estime que M. Cormier a réalisé « plusieurs espaces publics qui sont parmi les plus aimés à Montréal et à Toronto ».

Elle mentionne notamment Boules roses, une enfilade de sphères qui a été suspendue au-dessus de la rue Sainte-Catherine Est de 2011 à 2016. L’installation s’est ensuite transformée en 18 nuances de gai, un chapelet de boules recréant les teintes du drapeau arc-en-ciel, pour la période de 2017 à 2019.
Par sa manière « très audacieuse » d’utiliser la couleur dans ses projets, Claude Cormier était un visionnaire, selon Mme Beaudoin. « Peut-être aussi un pionnier, dans une façon inorthodoxe d’approcher les espaces publics », ajoute-t-elle. Elle estime qu’il a su briser les conventions en aménagement paysager au Canada en recourant à des techniques d’art conceptuel et d’abstraction.
Reçu chevalier de l’Ordre national du Québec en 2009, M. Cormier voulait d’abord toucher les gens par ses oeuvres, raconte Nicole Valois, une amie de longue date. « Il avait cette sensibilité-là », relate avec émotion la professeure titulaire à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’Université de Montréal.

Le créateur souhaitait également faire sourire la population avec ses projets, poursuit celle qui est aussi architecte paysagiste. C’est mission accomplie notamment au parc Berczy, à Toronto, où l’on trouve une fontaine de chiens crachant des jets d’eau signée CCxA. La Ville Reine lui doit aussi Love Park, un îlot de verdure ayant en son centre un étang en forme de coeur.
Une inspiration pour plusieurs générations
Nicole Valois, qui enseigne dans les ateliers de design depuis 1992, a vu défiler dans ses classes des générations d’étudiants admiratifs du travail de Claude Cormier. « Ils essayaient de l’imiter, il les a inspirés », souligne-t-elle, une pointe de joie dans la voix.
M. Cormier, qui est né et a grandi dans une ferme à Princeville, dans le Centre-du-Québec, a notamment étudié l’architecture de paysage à l’Université de Toronto ainsi que l’histoire et la théorie du design à l’Université Harvard.

L’un de ses premiers projets à avoir marqué les esprits est sans doute Le jardin de bâtons bleus, réalisé en 2000 pour l’inauguration du Festival international de jardins des Jardins de Métis. Cette installation s’inspire de deux éléments qu’on trouve dans ce lieu emblématique du Bas-Saint-Laurent, soit le pavot bleu de l’Himalaya et les plates-bandes à l’anglaise.
Grâce à ses talents de communicateur, Claude Cormier a pu défendre ses projets « un peu champ gauche » tout au long de sa carrière, souligne Sophie Beaudoin. « Il était toujours là où on ne l’attendait pas. »
Continuer sans lui
Au travail, Claude Cormier se distinguait par son côté rassembleur et son sens aigu des affaires, soulève Sophie Beaudoin. « C’était quelqu’un qui ne laissait rien au hasard », indique-t-elle.
Cette dernière a repris les rênes de CCxA avec ses associés Marc Hallé, Yannick Roberge et Guillaume Paradis. Claude Cormier avait entamé dès 2016 le transfert de l’entreprise, qui s’est finalement achevé au début de l’année 2023.

La vision du fondateur demeurera bien présente au sein de la firme, assure Sophie Beaudoin. « On veut continuer à contribuer à la réinvention des paysages urbains dans le quotidien, à susciter de l’émotion et à produire du sens dans l’espace public. »
Pour sa part, Nicole Valois a bon espoir que M. Cormier vivra à travers les oeuvres qu’il a réalisées, mais aussi celles que CCxA fera dans les prochaines années. « Je trouve qu’il s’est arrangé pour qu’il y ait une continuité, c’est-à-dire pour que les gens avec qui il travaillait puissent poursuivre dans l’esprit qu’il a créé. »
Claude Cormier savait établir une communication avec le public au moyen de son oeuvre, souligne Philippe Lupien, professeur à l’École de design de l’UQAM et administrateur à l’Association des architectes paysagistes du Québec. « Ses espaces publics répondent à quelque chose, que ce soit le contexte, une décision municipale, un débat ou une discussion avec les citoyens. Il nous rend complices. »

Avec ses boules roses suspendues au-dessus de la rue Sainte-Catherine Est, il est allé bien au-delà d’un simple projet de signalétique pour une artère commerciale. Cette oeuvre et bien d’autres témoignent de l’humour et de l’ironie qu’il insufflait à ses aménagements, ajoute le professeur.
La mairesse Valérie Plante a évoqué une « perte immense ». « Claude était un visionnaire, un bâtisseur et un grand Montréalais, a-t-elle écrit sur X (anciennement Twitter). Son oeuvre architecturale est un legs qui restera dans nos mémoires à jamais. »
Claude Cormier laisse dans le deuil sa mère, Solange ; sa soeur, Louise ; son frère, Pierre ; ses nièces, Marie-Laure, Delphine et Léa-Sam ; son neveu, Alexis ; ainsi que ses collègues de CCxA.
Avec Jeanne Corriveau