Le Carnaval de cirque social: quand le cirque célèbre «l’étrangeté »

Pour la première fois depuis ses débuts, le Carnaval de cirque social accueille plus d’une quarantaine de jeunes venant des quatre coins du pays.
Photo: Adil Boukind Le Devoir Pour la première fois depuis ses débuts, le Carnaval de cirque social accueille plus d’une quarantaine de jeunes venant des quatre coins du pays.

Dans un monde où la marginalité est souvent perçue comme un fardeau, un spectacle de cirque unique en son genre défie les stéréotypes et met en avant des jeunes en difficulté qui se réapproprient leur identité. Le carnaval de cirque social, présenté dans le cadre du festival Montréal complètement cirque, célèbre leur résilience et leur créativité.

Lundi soir, la place Pasteur reçoit la 12e édition du Carnaval de cirque social, une initiative de l’organisme Cirque Hors Piste. Une programmation colorée est à l’honneur, mettant en vedette des spectacles sur le thème Notre étrangeté sans filtre. Les artistes qui s’y produisent, professionnels comme amateurs, sont tous issus du milieu du cirque social, qui joint les pratiques de l’intervention à celles du cirque.

Cette approche permet à des jeunes aux parcours atypiques de mieux se connaître eux-mêmes en apprenant des disciplines telles que la jonglerie, le tissu aérien, le trapèze et l’art du clown. C’est une façon d’exprimer leur plein potentiel et de découvrir leurs talents, tout en étant accompagnés de professionnels.

Pour Dada, un jeune friand d’adrénaline qui participe pour la première fois à une création collective de l’organisme, la thématique choisie est une occasion de célébrer ce qu’il y a d’unique en chaque personne.

Photo: Adil Boukind Le Devoir Ce groupe de jeunes a suivi un atelier en prévision du Carnaval de cirque social. Pour certains, c’est la première fois qu’ils sont reconnus et mis en avant, ce qui constitue pour eux une réussite personnelle énorme.

« C’est un thème qui me touche beaucoup. J’ai un trouble de personnalité limite lié à une dissociation de la personne, donc j’ai sept personnes qui “switchent” avec mes émotions. Pour moi, je suis unique en mon genre, et l’étrangeté qui est autour de nous, sans filtre, c’est de pouvoir montrer la beauté de la vie. »

Le thème de l’étrangeté est né d’une réflexion qui a regroupé 150 passionnés de cirque de partout au Canada l’an dernier. Les jeunes ont été amenés à échanger sur les valeurs et les fondements du cirque social en vue de créer un manifeste, qui a ensuite servi d’inspiration pour cette édition du Carnaval. Ce qui en est ressorti, c’est l’idée d’un espace où l’on peut être qui l’on veut, une communauté offrant aux jeunes un « safe space où ils n’ont pas besoin d’avoir de filtre », explique Karine Lavoie, directrice générale de l’organisme Cirque Hors Piste.

« Moi, je suis quelqu’un qui porte beaucoup de masques dans la vie. J’ai de la misère à être moi-même, j’essaie de “fitter” avec les autres, et le cirque, ça aide beaucoup à ne pas avoir de masque avec soi-même. Je suis capable de lâcher mon fou maintenant », témoigne Mike, qui participe à toutes les activités de Cirque Hors Piste depuis un an.

Un lieu de partage

Pour la première fois depuis ses débuts, l’événement Carnaval de cirque social accueille plus d’une quarantaine de jeunes venant des quatre coins du pays. Ils représentent les écoles et les organismes qui composent le réseau Cirkaskina, qui signifie « tous ensemble » en attikamek.

Ces jeunes artistes ont participé à des ateliers pendant la fin de semaine pour monter un spectacle mettant en avant une multitude de disciplines du cirque, mais également des jeunes aux parcours riches et variés.

« L’objectif, c’est à la fois de faire une petite création collective sur deux jours avec l’aide de metteurs en scène qui travaillent avec eux, mais aussi de créer un espace d’échange entre toutes ces communautés », souligne Mme Lavoie.

On crée des dispositions où la personne se sent mieux : le corps est reposé, donc l’esprit est plus disponible pour autre chose.

Se produire dans un événement de cette envergure suscite une grande fierté chez ces jeunes artistes, non sans raison. Pour certains, c’est la première fois qu’ils sont reconnus et mis en avant, ce qui constitue une réussite personnelle énorme.

« On ressent une certaine excitation et beaucoup d’adrénaline, et le fait que, présentement, on travaille très fort et très bien, ça nous permet tellement d’avoir confiance en nous au travers de ce spectacle. Honnêtement, j’ai beaucoup de confiance et de détermination, j’ai hâte de présenter ce qu’on a créé », confie Dada, un large sourire aux lèvres.

Être soi-même

Au coeur de cette aventure extraordinaire se trouve le Cirque Hors Piste, un organisme unique en son genre, qui a vu le jour en 2011.

 

Selon Marilou Vinet, coordonnatrice de l’intervention chez Cirque Hors Piste, les arts du cirque constituent le vecteur parfait pour permettre à ces jeunes de canaliser leurs émotions, de gagner en confiance et de se reconstruire après des expériences difficiles.

« La diversité des arts du cirque permet une diversité de leviers. Chaque personne trouve quelque chose qui va l’accrocher et qui va occasionner des réussites rapides. Ce sont des personnes qui ont vécu beaucoup d’échecs qui ne relèvent pas d’eux, elles ont beaucoup de limites imposées par la société, donc réussir quelque chose, être encouragé, c’est nouveau, c’est rare dans leur vie. »

Chez Cirque Hors Piste, l’intervention et la pratique du cirque se font en tandem. Toujours selon Marilou Vinet, la force de cette approche réside dans la symbiose de ces deux éléments, qui permet d’installer un terrain propice, où le cirque vient servir le social.

« Pour beaucoup, c’est le seul lieu où ils peuvent bouger et, nécessairement, tu sors de ta tête et de tes problèmes parce que tu es concentré sur le fait d’accomplir quelque chose de précis avec ton corps. Ça amène un aspect méditatif de se connecter au moment présent et d’évacuer du stress par le sport. On crée des dispositions où la personne se sent mieux : le corps est reposé, donc l’esprit est plus disponible pour autre chose. »

Au-delà des formations offertes, l’organisme crée un lieu de partage pour ces personnes qui ont souvent vécu de l’exclusion sociale. Elles peuvent créer des liens de confiance et se reconnaître dans les membres de l’équipe, composée de professionnels qui ont également ce côté hors norme.

« Les backgrounds des gens qui arrivent ici sont tellement différents. Il y en a qui sont suivis en intervention depuis longtemps, mais quand ils arrivent ici, ils trouvent un terrain de jeu pour se développer. D’autres viennent de milieux très stricts, où on leur a dicté quoi faire, et ils ne savent pas qui ils sont, donc ils peuvent découvrir leurs forces ici. Et, pour certains, c’est la première fois qu’ils ont ce cadre sécuritaire avec des intervenants et ils apprennent à faire confiance aux personnes-ressources qui les entourent », ajoute Marilou Vinet.

Avec Le carnaval de cirque social, qui se tiendra lundi à la place Pasteur, de 17 h à 23 h, le Cirque Hors Piste nous rappelle que l’art a le pouvoir de transformer des vies.

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