«Encantado»: couleurs salvatrices

Scène du spectacle «Encantado», de la chorégraphe brésilienne Lia Rodrigues, présenté dans le cadre du FTA 2023
Sammi Landweer Scène du spectacle «Encantado», de la chorégraphe brésilienne Lia Rodrigues, présenté dans le cadre du FTA 2023

Mardi soir avait lieu la première d’Encantado de la chorégraphe brésilienne Lia Rodrigues, dans le cadre du Festival TransAmériques (FTA). Spectacle de rythmes et de couleurs flamboyantes, cette création, qui mise autant sur les corps que sur les tissus, nous plonge dans une insouciante célébration, une fête de l’être et une guérison des âmes.

C’est tout en douceur qu’Encantado, qui signifie, « émerveillement », « enchantement » au Brésil, nous accueille dans ses bras. Les corps nus se faufilent lentement sous une immense courtepointe aux vives couleurs. Dans un silence sourd, on observe alors les corps disparaître, des bouts de peau réapparaître et, petit à petit, des créatures se former. Elles prennent vie temporairement, se croisent et commencent tranquillement à bouger, le tambour retentissant pour l’instant en arrière-plan.

La cadence s’intensifie et ne s’arrête plus. Les 11 interprètes peu à peu se déchaînent, jouant dans les multiples textiles. Métamorphosés, ils se définissent dans l’espace, dans le jeu, et élaborent à eux seuls des paysages, font chavirer notre imaginaire et nous fascinent de minute en minute. Les couleurs et les formes des tissus s’enlacent, s’emmêlent, s’entortillent et éblouissent par leur construction élaborée.

Les corps, ici tous différents, ne sont plus un enjeu ou une esthétique, ils incarnent tout ce qu’ils veulent, s’affranchissent des normes et s’assument pleinement. L’extravagance est de mise. Une belle ode à la différence, à la diversité et à l’amour de soi, à la fierté, en quelque sorte. Parfois dans la séduction, dans l’arrogance ou encore dans l’espièglerie, ce qu’ils incarnent, animaux imaginaires, divinités, esprits ou simples êtres humains, se construit sous nos yeux et se déconstruit, parfois même sans qu’on s’en aperçoive. Un peu comme par magie, la scène se remplit d’êtres vivants, mystérieux et éphémères, qui amènent toute leur vitalité et leur personnalité.

Les rythmes du peuple Guaraní Mbyá se répètent à l’infini, telle une transe. On y sent l’énergie vive, l’énergie authentique, l’origine même de la Terre, mais on la perçoit aussi comme une musique de guérison, de l’être-ensemble dans la paix. En plus de l’insouciance de tous et de toutes, de la joie immense qui abonde dans l’espace, on ressent aussi un certain baume universel, une grande main posée sur les coeurs et les âmes.

L’être-ensemble et l’esthétisme

En plus d’être un hymne à la fierté, Encantado ramène aussi à la simplicité de la vie. Pendant une heure, on suit les interprètes dans leur exaltation, leur folie, qui nous donne envie de nous jeter nous aussi dans cette mer de tissages. À quand remonte la dernière fois où vous vous êtes déguisé ? Ou vous vous êtes jeté dans une pile de tissus ? En plus de cela, l’union et la solidarité du groupe font chaud au coeur. Que faut-il de plus qu’être ensemble pour être heureux, finalement ? Les uns et les autres sont en constant soutien dans leur déferlement de soi, dans leur contagieuse fièvre.

La chorégraphe nous expose aussi à une chorégraphie simple, et surtout très organique. Les interprètes dansent avec leur coeur, des mouvements naturels qui ajoutent simplement du tempo au dynamisme général. Mouvements simples de mains, de bras ou encore tapage du rythme avec les pieds, Encantado ne brille pas par une gestuelle complexe, mais bien par une authenticité mesurée. Dans la simplicité, la personnalité de chacun transparaît, ainsi que son besoin de bouger, de danser. Dans toute cette effervescence apparaissent des moments à l’unisson, des structures en duo, en trio. Les solos ne sont jamais vraiment seuls puisque le reste du groupe est toujours soudé, toujours en mouvement, ensemble, sans que l’architecture chorégraphique casse leur union.

Enfin, Encantado est surtout une pièce dont l’esthétisme et la construction scénique sont très intéressants. Partir de simples bouts de tissus massés ensemble pour construire personnages, esprit ou encore décors est vraiment original. On ne s’y attend pas vraiment au départ et finalement, on se laisse prendre au jeu des couleurs et des formes, tentant de deviner les prochaines inventions que vont nous exposer les artistes. Il est aussi fascinant de voir la quantité de combinaisons, de créations possibles.

Pièce enivrante, Encantado nous transporte par la multitude de ses couleurs, sa force de vie, sa saine démence et l’union des êtres qui la porte.

Encantado

De Lia Rodrigues. Jusqu’au 8 juin à l’Usine C.

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