Habitat 67 enfin complété... 56 ans plus tard

Photo: Epic Games Image de la vision originale du projet Habitat 67, créée en réalité virtuelle à partir des plans originaux de Moshe Safdie

Habitat 67 ? Dites plutôt Habitat 2023. Le bâtiment datant de l’Expo de 1967 recommence à faire rêver maintenant qu’une technologie issue du jeu vidéo permet de recréer dans sa totalité la vision de son architecte, Moshe Safdie. Et ce qu’on voit, c’est un projet qui n’a pas pris une ride. Au contraire.

Découvrez à quoi ressemble la version complète et revisitée du projet de Moshe Safdie.

 

Il y a un peu plus d’un demi-siècle, un architecte de 23 ans sortant de l’Université McGill avait en tête des questions qu’on se pose encore aujourd’hui. Si, au lieu d’être entassés dans d’immenses boîtes verticales de verre et de béton, nous avions des terrasses et des jardins, de l’espace aéré et une véritable connexion avec la nature ? Et si nos gratte-ciel n’étaient pas vraiment des gratte-ciel, mais plutôt des villages superposés, avec toutes les commodités rêvées à quelques enjambées ?

Dans la tête de Safdie, la réponse à ces questions a donné naissance à Habitat 67. Pas l’immeuble que l’on connaît aujourd’hui, non. Un projet cinq fois plus grand et bien plus ambitieux : Habitat 67 devait être à l’origine une communauté à haute densité composée d’appartements modulaires empilés dans des structures en forme de pyramide.

Un complexe composé de modules empilés sur 20 à 30 étages dans une structure de tours inclinées. Comme s’ils étaient sur une colline. Chaque logement compte un jardin et touche à un espace ouvert vers le ciel. Ces « collines » se rejoignent pour former des quartiers qui flottent au-dessus d’espaces publics abrités et situés au niveau du sol. Des rues tous les quatre étages donnent accès aux jardins, à des bureaux et à des espaces communautaires.

Malheureusement, les gouvernements de l’époque ne voyaient pas si loin. Un budget minimal octroyé par Ottawa à Moshe Safdie a limité le projet final à trois plus petites pyramides de 158 résidences. La construction dans les années 1960 était plus laborieuse, aussi. Des technologies comme les imprimantes 3D étaient loin d’exister à l’époque.

Projet Hillside

 

Les univers numériques immersifs comme celui dans lequel nous plongent des jeux vidéo comme Fortnite, d’Epic Games, n’existaient pas non plus en 1967. On dira ce qu’on voudra de Fortnite le jeu, sa technologie, elle, est impressionnante. Elle repose sur un moteur graphique appelé Unreal Engine, développé en partie à Montréal.

C’est en voulant démontrer le potentiel d’Unreal Engine au-delà du jeu vidéo que le designer d’origine mexicaine Carlos Cristerna a eu l’idée de lancer, il n’y a pas tout à fait deux ans, le projet Hillside.

Le projet Hillside, c’est la version complète et revisitée d’Habitat 67. C’est un environnement immersif en ligne, présentant le Vieux-Port et le complexe construit dans son entièreté, dans lequel on peut évoluer virtuellement. Tel qu’on le verrait aujourd’hui. On y reconnaît l’enseigne de Farine Five Roses comme on la voit normalement dans la vraie vie.

« Nous voulions montrer Unreal Engine dans un contexte d’architecture, dit au Devoir Carlos Cristerna. On s’est dit qu’on embaucherait un architecte pour créer un faux immeuble, mais c’était compliqué. J’ai donc suggéré l’idée à Moshe [Safdie], puisqu’on se connaissait déjà. Je savais qu’il pensait à son héritage, à ses projets non réalisés. »

Habitat 67 a lancé la carrière de Moshe Safdie, qui vit aujourd’hui à Boston, où se trouve d’ailleurs son cabinet d’architectes. « Il a dit oui. À partir de là, nous avons plongé dans ses archives, y compris des documents de l’Université McGill que le public n’a jamais vus avant. »

Revenir à la base

Un troisième partenaire s’est ajouté au projet : Neoscape, une société américaine de visualisation de design, a collaboré avec l’équipe d’Epic Games pour créer une maquette virtuelle du plan original, y compris des tours de 30 étages en forme de A. C’est le rendu de cette maquette numérique que les gens peuvent découvrir et explorer pour mieux connaître la vision originale d’Habitat 67 de Moshe Safdie.

Photo: Epic Games Image de la vision originale du projet Habitat 67, créée en réalité virtuelle à partir des plans originaux de Moshe Safdie

Neoscape voit dans le projet Hillside et sa comparaison avec Habitat 67 tel qu’il existe présentement, dans le secteur Cité-du-Havre à Montréal, une illustration d’où s’en va l’architecture et même tout le secteur immobilier. Présenter un immeuble dans un environnement qui peut être visité dans ses trois dimensions lui rend autrement mieux justice que des maquettes, des croquis ou des esquisses statiques…

« Ça soulève des questions sur comment l’urbanisation ces cinquante dernières années a peut-être raté son coup », dit le directeur du projet Hillside pour Neoscape, Ryan Cohen. « Nous voyons bien ce qu’Habitat 67 aurait pu être : une communauté, des écoles, des marchés, des bureaux… »

Si les gouvernements des années 1960 avaient pu voir ce quartier du futur presque comme s’ils déambulaient dans ses rues, peut-être auraient-ils été plus généreux dans leur financement, poursuit Ryan Cohen. Peut-être que les prochains grands projets immobiliers, urbains ou architecturaux profiteront de cette technologie pour mieux se présenter, ajoute-t-il.

Photo: Epic Games L’architecte Moshe Safdie devant les maquettes de travail originales d’Habitat 67 des années 1960 dans son bureau de Place Ville Marie 

« Ce n’était pas notre principal objectif, mais on voit aussi comment cette technologie peut remplacer les manuels dans des écoles d’architecture ou d’urbanisme. Ça redéfinit la planification urbaine en entier. On peut explorer tout un quartier avant qu’il soit construit. C’est plus facile d’illustrer la véritable vision derrière les projets. »

« J’espère que les gens, avec les défis qui incombent aux grandes villes en ce moment, verront la valeur de cette technologie. »
 

Un documentaire à voir sur YouTube (en anglais):

 



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