Le cirque, sur le fil de la vie

Raphaël Gagné avec son instructrice Éliane Bonin
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Raphaël Gagné avec son instructrice Éliane Bonin

Dans la salle d’un ancien poste de police d’Hochelaga-Maisonneuve, Raphaël Gagné, 26 ans, fait tourner et tourner trois diabolos vert lime sur un fil.

Cet endroit, c’est l’édifice Emmanuel-Arthur-Doucet, aujourd’hui converti en pôle cirque par le Cirque Hors Piste, organisme communautaire qui propose le cirque comme moyen de réinsertion sociale, dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve.

Pour Raphaël Gagné, l’endroit est devenu un refuge, il y a un peu plus d’un mois, alors qu’il combattait le craving, et la peur de retomber dans la toxicomanie, après être sorti d’une cure au Portage, un centre qui soigne la toxicomanie associée aux problématiques de santé mentale. « Faire du cirque, ça me permet de me sentir en vie », confie-t-il. Sa joie, alors qu’il forme des cercles verts autour de lui, coiffé d’un béret fleuri, est manifeste. « Je suis venu en parler à un intervenant tout de suite. Ça m’a fait beaucoup de bien. »

Dans cet ancien poste de police reconverti, de grandes salles distribuées sur deux étages, le Cirque Hors Piste accueille les jeunes marginalisés, mais aussi les amateurs et les professionnels du cirque, qui peuvent se côtoyer en explorant les limites de leur corps. « Les cellules au sous-sol, qui datent de l’ancien poste de police, servent comme entrepôt pour le matériel », dit en riant la directrice du Cirque Hors Piste, Karine Lavoie. Tout autour, on entretient l’esprit de communauté, de famille et d’échange cher à la tradition du cirque.

Le Cirque Hors Piste est d’abord et avant tout un organisme d’intervention sociale. Plusieurs fois par semaine, une équipe formée d’un intervenant social et d’un instructeur de cirque sillonne les rues d’Hochelaga-Maisonneuve et du Centre-Sud pour aller à la rencontre de jeunes vulnérables, qui se regroupent de plus en plus dans ces quartiers.

La couleur cirque

 

« Cet été, on veut faire trois jours par semaine, dans la rue ou dans les ressources, dit Marilou Vinet, coordonnatrice de l’équipe d’intervention sociale du cirque. Plus on est présents, plus ils nous connaissent. Et quand les gens nous voient, ils savent qui on est. La brouette est remplie de matériel de cirque. On a nos sacs à dos avec des quilles qui pendent. Des fois, il y a de la musique. Quand il fait très chaud, on a des bonbonnes d’eau, donc on peut arroser les gens qui le veulent. On essaie d’avoir la couleur cirque, un peu funky. En même temps, on a la trousse de naloxone sur nous, pour les gens qui sont en overdose d’opioïdes. »

C’est sur la recommandation d’une amie que Raphaël Gagné a franchi les portes du bâtiment de la rue Hochelaga.

« Des fois, les amis nous montrent un certain chemin », dit-il. Lui-même a depuis invité un ami du Portage à se joindre aux ateliers. « Ça fonctionne beaucoup comme ça, par bouche à oreille », remarque Marilou Vinet.

Originaire de Disraeli, Raphaël a suivi un programme de cirque-études à l’école secondaire, ce qui l’a tenu en forme assez longtemps. C’est à son arrivée à Montréal pour le cégep qu’il a commencé à déraper dans la consommation de drogue, raconte-t-il, avant de retourner en région et de, finalement, se retrouver au Portage.

« Quand je consommais, je ne faisais plus de cirque, juste de la photo », dit-il.

Une clé vers soi

 

Avec sa batterie de disciplines et de numéros, le cirque peut atteindre des groupes différents de jeunes, selon leur état, et leur faire explorer différentes habiletés.

« Si tu fais des pyramides humaines, tu te dis, là il faut que je fasse confiance à mon partenaire, je dois nommer mes limites. Si ça fait mal, je dois le dire. Quand je fais de la jonglerie, je me concentre, je persévère. Je ramasse les balles et je recommence », raconte Karine Lavoie. « Quelqu’un qui se met dans des situations dangereuses en consommant peut apprendre à gérer les risques en expérimentant le trampoline, par exemple », ajoute Marilou.

L’univers ludique et humoristique du cirque agit aussi sur la perception que les autres ont des jeunes marginalisés. « Si tu vois la personne en train de s’amuser sur un ruban de gymnastique, au lieu de te sentir menacé, tout d’un coup, tu es intéressé, tu es curieux. La personne a une expressivité, elle a une poésie, une vision du monde qui n’est pas la tienne, raconte l’instructrice de cirque Éliane Bonin, dite Lili. Dans un endroit où tu fais un détour, tu essaies de ne pas regarder le monde dans les yeux ; s’il y a des quilles qui revolent ou du monde qui rit et de la musique, ça change tout. Le ton est à la célébration. »

Certains jeunes se rendent aux ateliers de cirque simplement pour goûter à cette ambiance joyeuse et sécuritaire, sans y participer.

Marilou Vinet raconte l’histoire d’un jeune qui s’est rendu sur place durant six mois sans rien faire. « Il y en a qui viennent pour dormir », dit-elle. Au bout de six mois, cette personne s’est levée pour essayer un appareil de cirque, puis d’autres appareils la semaine suivante.

Parfois, lorsque les jeunes ont fumé du cannabis, au lieu de leur proposer une jonglerie, qui demande beaucoup de concentration, on leur offre une assiette chinoise, plus facile à manipuler. D’autres vont attendre d’être sobres pour affronter un appareil comme le trapèze. Mais tous devront faire leur propre chemin en équilibre sur le fil tendu de la vie.

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