Découvrir la diversité de genres au Musée de la civilisation de Québec

À la naissance, chaque être humain se voit assigner un sexe et un genre, qui seront féminins ou masculins, selon son anatomie sexuelle. Or, la réalité est loin d’être aussi simpliste et aussi tranchée. Et l’exposition Unique en son genre, qu’on inaugurait jeudi dernier au Musée de la civilisation de Québec, nous le démontre avec intelligence et sensibilité par l’entremise de la biologie, de l’anthropologie et de l’histoire.
L’exposition campe d’abord le décor en rappelant que tout part de l’organe génital externe que l’on découvre à la naissance et qui, de prime abord, destine la personne à une binarité que la culture populaire et la société contribueront à renforcer.
Des moulages de pénis et de vulves aux formes variées — réalisés à partir de modèles vivants par la compagnie SEX-ED + — montrent qu’en dépit des stéréotypes, il existe une grande variabilité dans l’anatomie sexuelle des humains.
On découvre ensuite une étonnante diversité de corps sexués au sein du monde animal. Par exemple, plusieurs espèces de mollusques et de poissons, dont les poissons-clowns, sont hermaphrodites, car ils possèdent des organes reproducteurs mâles et femelles. « On a tendance à voir le monde animal de façon binaire, alors qu’il y a plein d’exemples qui montrent que la réalité des caractères sexués est beaucoup plus complexe », fait remarquer la conservatrice, Valérie Bouchard.

Des variations sexuelles s’observent également chez l’humain. Les personnes intersexuées, notamment, naissent dotées de caractéristiques sexuelles à la fois femelles et mâles. Ces variations intersexes peuvent se manifester au niveau des chromosomes sexuels, des hormones sexuelles, de l’apparence des organes génitaux externes ou du fonctionnement des organes génitaux internes.
Dans une capsule audiovisuelle, la professeure de sociologie à l’UQAM Janik Bastien Charlevoix dénonce les interventions pratiquées sur les personnes intersexuées dans le but de conformer leurs organes génitaux aux standards des sexes mâle et femelle, et ce, surtout chez les enfants avant qu’ils soient en mesure de donner leur consentement.
Dans la zone suivante, on apprend que de multiples sociétés reconnaissent plus de deux genres. « On a souvent l’impression que la diversité de genre est une réalité relativement récente qui concerne majoritairement des jeunes, mais on découvre qu’elle est présente dans de nombreuses sociétés à travers le monde et qu’il existe de nombreux exemples qui ont traversé l’histoire », souligne Caroline Lantagne, chargée de projets au Musée.
Une carte interactive du monde permet en effet de repérer une quarantaine de sociétés où évolue une diversité d’identités de genre. Des vêtements et des bijoux associés à des personnes non binaires de certaines de ces sociétés sont également exposés : notamment, une robe portée par des Muxes d’Oaxaca, au Mexique, qui sont des personnes dont le genre assigné à la naissance est masculin, mais qui adoptent les comportements associés au genre féminin. « L’identité muxe est une tradition autochtone qui est reconnue depuis l’époque préhispanique », souligne-t-on.
Également un sari ayant appartenu aux Hijras, une communauté transgenre qui existe en Inde depuis 4000 ans. Nées garçons ou intersexes, ces personnes s’identifient au genre féminin, s’habillent donc en femmes et sont parfois émasculées. Depuis 2014, l’Inde reconnaît officiellement l’existence de ce troisième genre.
Marie-Philippe Phillie Drouin, directrice générale de Divergenres, qui a participé à la scénarisation de l’exposition, raconte qu’il existe plus de 130 langues autochtones dans lesquelles ont été répertoriés des mots désignant des identités de genre autre qu’homme et femme. « Les sociétés traditionnelles autochtones étaient en majorité organisées en dehors de la binarité telle qu’on la connaît aujourd’hui. C’est au cours de l’histoire très violente de la colonisation que les façons traditionnelles de vivre le genre et la sexualité ont été effacées », explique Marie-Philippe Phillie Drouin.
On a souvent l’impression que la diversité de genre est une réalité relativement récente qui concerne majoritairement des jeunes, mais on découvre qu’elle est présente dans de nombreuses sociétés à travers le monde
Dans une capsule vidéo, Diane Labelle, une aînée mohawk, nous explique que des personnes autochtones de la diversité sexuelle et de genre ont entamé un processus identitaire visant à retrouver, à travers les traditions et les récits, les identités qui sont propres à leur communauté et à leur culture. De ce processus a émergé en 1990 l’identité bispirituelle dont se réclament des membres des Premières Nations, des Inuits et des Métis.

Une zone présente ensuite la transition qu’effectuent un jour ou l’autre les personnes trans : transition sociale, qui a lieu lors du coming out, que trois personnes trans racontent avec beaucoup d’émotions ; transitions physique, par les mots, légale et chirurgicale.
Des œuvres d’art, dont deux splendides sculptures de l’artiste trans québécoise Paige Krämer Rochefort, émaillent le parcours de l’exposition.
Une grande section est par la suite consacrée aux différents mouvements sociaux qui se sont succédé et ont ouvert la voie aux revendications actuelles des personnes trans et non binaires.

Une capsule audiovisuelle donne la parole à deux universitaires spécialistes des enfants trans, ainsi qu’à Maël Ste-Marie, cette jeune personne trans qui a témoigné à l’Assemblée nationale l’automne dernier lors des consultations sur le projet de loi no 2 modifiant le Code civil en matière de droits de la personnalité et d’état civil.
Une galerie de portraits de personnages historiques démontre de façon manifeste que les personnes qui transgressent les normes de genre ont de tout temps fait partie des différentes sociétés.
Le parcours aboutit finalement dans un grand espace de création et de célébration où on peut voir la collerette de l’artiste transformiste Gilda, qui se produisait dans les cabarets de Montréal, qui furent le lieu d’émergence des mouvements trans au Québec.
« À la fois culturelle, sociale et surtout éducative, cette exposition s’inscrit dans cette volonté d’établir un dialogue, de donner des clés de compréhension et d’humaniser », a déclaré Marie-Philippe Phillie Drouin en fin de visite de presse.
Comme l’a si bien dit la drag queen Barbada en introduction à la visite : il s’agit d’une « exposition nécessaire et essentielle ».