«La nuit se réfléchit de nuit»

Il faut être enveloppé par la nuit pour comprendre ce qu’est la nuit.
Olivier Zuida Le Devoir Il faut être enveloppé par la nuit pour comprendre ce qu’est la nuit.

Pour son édition 2023, l’événement MTL au Sommet de la nuit invite, de mercredi à jeudi, des sommités mondiales qui viennent éclairer la réflexion montréalaise sur le développement de la vie nocturne, plus particulièrement sur la notion d’« espace ». Le Devoir a entamé cette réflexion avec l’un des experts invités, Luc Gwiaździński, qui est professeur à l’École nationale supérieure d’architecture de Toulouse et pionnier des études de la nuit. Propos recueillis par Philippe Papineau.

Il y a plus de trente ans que vous explorez les questions nocturnes. Quel est le rapport entre les humains et ce moment de la journée ?

II y a toujours eu une volonté des hommes de conquérir la nuit, de dépasser les rythmes biologiques. Donc, c’est vrai que cette volonté de coloniser la nuit, elle est là ; j’allais dire depuis la nuit des temps.

Comment évolue ce désir à notre époque ?

J’ai toujours pensé que la nuit, c’est une espèce de dernière frontière pour la ville. Mais, aujourd’hui, sous la pression de la lumière, de la continuité de l’information, du marché qui amène énormément de changements de mode de vie, on voit de plus en plus de conflits entre la ville qui essaie de dormir et la ville qui essaie de s’amuser à un moment de la nuit qui devient un temps central en termes de culture ou de rencontre.

Ce sont deux réalités qui ne cohabitent pas toujours bien et qui peuvent causer du tort aux organisations culturelles, comme des salles de spectacle, non ?

Il y a quelque chose dans la nuit qui est du domaine de l’ambiguïté, du paradoxe. On veut s’installer au centre de Montréal quand on a 30 ans parce que c’est animé. Après, on a des enfants et on veut dormir la nuit dans le même quartier. Et, aussi, les autorités locales veulent des étudiants du monde entier… Mais s’ils ne faisaient pas de bruit la nuit, ce serait bien.

Vous avez travaillé avec de grandes et de moins grandes villes pour faire des états des lieux de la vie nocturne. Quelle approche préconisez-vous ?

Je pense que la nuit se réfléchit de nuit. Il faut être enveloppé par la nuit pour comprendre ce qu’est la nuit. Donc, à côté de tous les diagnostics que je peux faire avec des études, des recherches, des bouquins, je traverse ces villes avec des élus, avec des techniciens, avec des artistes, avec des étudiants. Parce que là, on écoute ce que ça veut vraiment dire, de traverser la périphérie quand il fait vraiment noir. Ce que ça veut dire quand il est 2 h du matin et qu’on se demande où trouver une toilette publique — et qu’il n’y en a pas. Quand on veut prendre un bus, mais qu’il n’y en a plus. Bref, c’est très important que les élus soient dans la co-construction avec les autres.

En général, nos élus vivent plutôt de jour. Que gagnent-ils à régir la nuit ?

Travailler sur la nuit, ce n’est pas entrer dans la marge, au contraire. C’est pouvoir nourrir les politiques pour le jour. Parce que d’abord, la nuit, c’est une caricature du jour. Si vous voulez comprendre la nuit, vous survolez Montréal illuminée pour bien en saisir l’organisation. On voit les territoires qui sont intégrés, ceux qui le sont moins. Aussi, les solutions qu’on trouve, elles sont intéressantes parce qu’elles sont dans le domaine de la médiation.

Vous dites que bien souvent, les informations que l’on retrouve dans la ville ne servent que le jour. Dans quel sens ?

Ce qu’on voit quand on circule dans la rue, c’est une information diurne : quel magasin est ouvert ou quel service public est disponible. Autant de choses qui sont fermées la nuit. C’est un peu comme au Far West : on n’a pas dessiné la carte de la nuit encore. Dans une stratégie de l’espace, si vous voulez que les gens viennent et circulent, il faut rendre lisible cette nuit, il faut faire des cartes de l’Office du tourisme, il faut une signalétique dans l’espace public, il faut que l’espace soit hospitalier. Voilà encore quelque chose que la nuit peut apporter au jour.

Vous avez parlé plus tôt de la lumière. C’est une clé du développement des espaces la nuit, notamment pour la sécurité. Mais elle n’a pas que du bon, selon vous.

Dans la ville, on va là où il y a de la lumière. On est comme des papillons. En fait, on finit par tous se retrouver au même endroit, et c’est là que ça peut créer des problèmes avec ceux qui dorment. Aussi, si vous éclairez la nuit comme un espace carcéral, elle va mourir, cette nuit, elle ne sera plus possible. On a besoin d’ombre, vous voyez 

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