Les scènes de Larry Tremblay

Le romancier, dramaturge et metteur en scène Larry Tremblay
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Le romancier, dramaturge et metteur en scène Larry Tremblay

Prenant prétexte de nouvelles nominations à l’Ordre des arts et des lettres du Québec, Le Devoir vous invite dans l’imaginaire d’artistes dont le travail exemplaire fait rayonner la culture.

Romancier, dramaturge, metteur en scène, Larry Tremblay est l’une des plumes majeures de la littérature québécoise. La langue de Larry Tremblay, vive et inventive, appuyée pour une part sur le réel et pour l’autre, sur les étoiles, s’est imposée depuis des années, tant dans l’univers romanesque que théâtral, comme une sorte de force tranquille et incontournable.

« La pandémie a retardé un certain nombre de projets, si bien que tout, cette année, apparaît arriver en même temps », explique Larry Tremblay dès le début de notre entretien. « En fait, ma cadence ne change pas tellement. Je suis assez régulier. Tous les deux ans environ, je fais paraître un nouveau livre. Cependant, après trente-cinq ans de travail, les oeuvres vivent désormais toutes seules. Elles reviennent au jour, sans que je n’y sois pour rien, de diverses façons. Il y a des reprises, des adaptations… J’assiste à quelques répétitions de pièces qui sont rejouées, comme le Abraham Lincoln va au théâtre que vient de présenter le TNM [Théâtre du Nouveau Monde]. Je regarde l’entrée en salle… Je donne parfois un avis. Mais le travail demandé n’est pas le même travail que celui de la création. »

À compter du 18 mai, l’Usine C présente Tableau final de l’amour, une adaptation théâtrale de son roman librement inspiré de la relation tumultueuse du peintre Francis Bacon avec son amant, George Dyer, un costaud à la vie de voyou toxicomane. Le roman, publié en 2021, navigue entre l’aurore et le crépuscule de cette relation tortueuse et torturée, excessive et maladive.

L’orangeraie, roman à succès publié en 2013, continue de flotter comme s’il avait des ailes. En des temps où l’humanité a le nez plongé plus que jamais dans des parfums de guerre, ce récit apparaît d’une profonde actualité. Le producteur Roger Frappier va en tirer un film, grâce au travail de Murad Abu Eisheh, un jeune réalisateur jordanien de 31 ans. Murad Abu Eisheh est basé à Stuttgart, en Allemagne. Il s’est fait remarquer pour son inventivité lumineuse.

« C’est lui qui écrit le scénario. Nous avons passé une semaine ensemble. Il n’était jamais venu à Montréal, explique Larry Tremblay. Devant le cinéma, j’ai appris à me détacher, à laisser les choses se mettre en place, du côté de la force des images. » La langue du cinéma n’est pas la sienne. Son univers, plaide-t-il, gravite tout autrement. « Je suis un écrivain. J’entends ce que j’écris, ce que je vois. Comme acteur, j’ai développé un visuel très théâtral. Le cinéma fonctionne différemment… Alors je fais confiance. Si j’étais un jeune, je me ferais sans doute des idées, mais je ne m’en fais plus ! »

L’horlogerie de l’écriture

Beaucoup de vies gravitent autour des morts de L’orangeraie. En 2016, ce roman récompensé par quantité de prix avait été adapté au théâtre, dans une mise en scène de Claude Poissant, de même qu’à l’opéra. Bientôt, le livre sera recomposé sous forme de bande dessinée.

L’effervescence autour de Larry Tremblay est indéniable. Et cette année plus que jamais peut-être. Mais l’écrivain ne perd pas le cap. Il dit continuer d’écrire, coûte que coûte, installé dans la fine mécanique qui préside à ses jours. Il est bien certain que maintenir le mouvement de cette horlogerie très sensible qu’est l’écriture compte en définitive plus que tout.

La grâce d’une écriture tombée du ciel est une affaire rare chez lui, explique-t-il avec un léger sourire. « J’écris. Je travaille. Écrire est une discipline. J’écris systématiquement. Tous les matins. Que je sois en voyage ou pas. Les premiers jets réussis, dans ma vie, sont rares, très rares. Il y a quelques exceptions. Le Dragonfly of Chicoutimi, c’est pratiquement un premier jet. J’ai des carnets pour le prouver ! C’est formidable quand on porte en soi une pièce, sans le savoir, et qu’on a juste à l’écrire… Mais c’est rarissime. Sinon, c’est du travail, du travail, du travail. Alors tous les matins, j’écris… »

Ces jours-ci, Larry Tremblay vient de terminer un recueil de cinq nouvelles. « Je n’ai pas encore le titre, mais le bouquin sort en octobre. » Il s’affaire, en parallèle, à l’écriture d’un court essai consacré à l’écrivain contemporain. « Il y a, ces temps-ci, la question de la censure, l’autocensure. Il y a ce que j’appelle le rétrécissement de l’imaginaire devant la surévaluation du vécu. Moi, je suis un écrivain de l’imaginaire. J’ai besoin d’imaginer. Mais on dirait désormais que la société oblige les artistes, pour créer, à se tourner vers eux-mêmes plutôt que vers les autres. C’est le moi, le je, l’individu, sa propre communauté, sa couleur de peau… Nous sommes là-dedans. Nous nous autoconsommons. Je réfléchis là-dessus… J’essaie de conceptualiser un peu tout ça, de façon assez ludique, à ma façon. »

La légitimité du créateur lui apparaît en tout cas s’être réduite. « Nous n’avons plus la légitimité d’écrire sur certains autres. Or, pour moi, le théâtre, c’est l’altérité à l’état pur. Le théâtre, c’est l’autre ! Je suis restreint, par certains personnages, parce qu’on pourrait me taxer d’appropriation culturelle. Ça m’embête. Pour l’instant, je peux encore faire parler des personnages féminins. Mais je suis un homme… Peut-être qu’un jour on va trouver que j’exagère ? Enfin, je pousse ces questions à l’extrême. En 1992, j’avais créé une pièce, Leçon d’anatomie. Je faisais parler une femme pendant une heure et demie. Elle parlait de son mari. Hélène Loiselle avait créé le rôle. Cette pièce ne passerait pas, je crois, si je l’écrivais aujourd’hui. »

Cette question de légitimité de l’artiste taraude Larry Tremblay. « Dans mes pièces, dans mes livres, j’ai créé de petites planètes. Elles sont nouvelles, chaque fois. Mon univers, ce n’est pas le monde d’un quartier, celui de Michel Tremblay par exemple. C’est toujours autre chose que je recompose. Mais est-ce que l’époque dans laquelle nous vivons me permet encore de créer d’autres mondes ? »

Le fjord du monde

Le rapport au monde de Larry Tremblay a été largement conditionné par une passion éprouvée de longue date à l’égard de l’Inde, de ses cultures. Dans les années 1970, pilier d’une jeune troupe de théâtre, il se retrouve invité en Inde pour jouer au théâtre dans ce pays désormais le plus populeux du monde. Le choc est énorme. Le kathakali, cette forme de théâtre dansé, l’a enlacé. « Je suis passé par une autre culture pour mieux voir la mienne. » L’Inde lui a permis une sorte de libération du regard par rapport à son propre pays, à ses origines. « C’est ainsi que j’ai vu que le Saguenay était beau, prodigieusement beau. Le fjord du Saguenay est un des plus beaux paysages du monde. »

L’Inde, Larry Tremblay y a séjourné à répétition. « Avec la pandémie, j’ai dû cesser, mais comme L’orangeraie sort en tamoul bientôt, cela pourrait être une motivation pour y retourner encore bientôt… » Les livres l’ont toujours fait voyager.

« Mon père était ouvrier. Les livres n’avaient pas beaucoup de place chez moi. Et moi, je n’étais qu’un lecteur ! Je lisais sans arrêt. Je lisais d’abord des Tintin, des Maurice Leblanc, des Bob Morane, toutes sortes de choses. »

Sa mère va accepter de l’abonner à une sorte de club de livre. Des classiques arrivent à la maison, les uns à la suite des autres : George Sand, Racine, Nodier, Jean-Jacques Rousseau, Chateaubriand… « Je pouvais dévorer, chaque jour, un livre ou deux. J’ai gardé ces livres-là. Ils ont compté énormément. Je me souviens surtout de ce que je n’avais pas compris… »

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