Bien du fil à retordre pour une mode écologique

Avec le lot de mitaines d’enfants dépareillées que lui a refilé le service de garde d’une école de Montréal, Isabelle Kaliaguine a créé une audacieuse veste rembourrée. « C’est un projet de recherche », dit la diplômée en design et en muséologie, qui travaille aujourd’hui sous le pseudonyme de Dr Guenille. Isabelle Kaliaguine ne vend pas de produits recyclés directement aux individus, mais elle offre à des entreprises de recycler leurs bannières publicitaires, par exemple, pour en faire des produits comme des sacs. Et elle anime des ateliers de récupération de vêtements pour tous les âges.
La passion du recyclage est venue à Isabelle Kaliaguine à l’époque où elle créait des décors de tissu pour de grands événements. « Je me souviens d’avoir tendu du tissu pour décorer toute la gare Windsor », dit-elle. « Après, les compagnies voulaient jeter le tissu. » Elle le recyclait pour en faire autre chose. Aujourd’hui, elle se sert de bannières pour recouvrir des bancs comme ceux du stade de tennis du parc Jarry, et utilise des toiles publicitaires des grands magasins pour donner des ateliers de confection d’anoraks ou de sacs. « Je ne peux rien jeter, dit-elle. Je me demande toujours ce que je pourrais faire avec ce qui ne sert plus. » Lors de notre entrevue, elle portait un chandail fait de tissu récupéré, dont les poignets avaient été taillés dans des jambes de chaussettes.
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Ce texte est publié via notre section Perspectives.
Le parent pauvre du recyclage
Le textile est le parent pauvre du recyclage au Québec, confirme Brigitte Geoffroy, porte-parole de Recyc-Québec. « La mode, c’est un secteur assez triste », dit-elle. Si le commerce des vêtements de seconde main est aujourd’hui florissant, le recyclage des matières textiles est très marginal. Et « les vêtements ne vont pas dans le bac de recyclage », fait remarquer Mme Geoffroy. Les fibres naturelles sont cependant biodégradables.
« Le Québécois moyen jette 30 kilos de textiles par année », dit Isabelle Kaliaguine. Or, des matières comme le polyester, par exemple, sont formées de microplastiques, qui se répandent dans l’eau de lavage. L’industrie vestimentaire se classe au sixième rang des industries polluantes, et est l’un des plus grands pollueurs d’eau potable, selon un rapport du groupe londonien Eco experts.
Des plus de 64 000 tonnes de textiles qui ont été récupérées au Québec en 2021, peut-on lire dans les statistiques de Recyc-Québec, « un peu moins de la moitié de celles-ci ont été destinées au réemploi local (40 %). Une quantité similaire (39 %) a également été acheminée à des courtiers, qui exportent ensuite les textiles principalement vers l’international, mais également vers d’autres provinces canadiennes. Les matières restantes ont été transformées sur place (chiffons, artisanat, redesign — 15 %) ». En 2018, moins de 1 % des matières récupérées ont été envoyées vers une filière de recyclage et conditionnement hors Québec, comme pour le défibrage, « cette filière étant quasi inexistante au Québec ».


Il faut dire que le recyclage du textile est une opération coûteuse. Christiane Garant, qui a produit durant 25 ans des vêtements de la marque Myco Anna, fabriqués en partie avec des textiles de seconde main, en a fait l’expérience.
« Dans les premières années, les vêtements étaient faits à 100 % avec des textiles de seconde main, des lainages qu’on transformait en vestes d’hiver et en accessoires », raconte-t-elle. Ensuite, la compagnie a peu à peu intégré des chutes commerciales de tissus.
« Plus il y avait de fibres recyclées, plus cela coûtait cher à produire. Ça prend de la main-d’œuvre pour transformer, découper, aller chercher la matière, la laver, la démousser », dit la designer, qui a cessé sa production il y a quatre ans pour ouvrir une boutique de créations locales.
« Après, dans les lainages, il peut y avoir une tache ou un trou, ça fait en sorte qu’on ne peut pas faire de la production à grande échelle. C’est plus artisanal, du pièce par pièce. Les matières ne réagissent pas toutes de la même manière. »
Hausser les prix ?
Pour continuer sa production, il aurait fallu hausser les prix, explique Mme Garant, ce que la clientèle n’était peut-être pas prête à assumer. Une mode écoresponsable, dit-elle, se fait « avec une vraie conscience environnementale, et non par appât du gain ».
D’ailleurs, les filières de recyclage du textile sont extrêmement rares. Marianne-Coquelicot Mercier a par exemple développé les feutres Chroma, faits à 80 % de fibres vestimentaires recyclées et à 20 % de fibres de polyester régénérées. Isabelle Kaliaguine parle aussi d’Econyl, une compagnie italienne qui récupère le nylon recyclable des filets de pêche, quitte à aller les chercher dans l’océan, pour en faire des maillots de bain par exemple.
Ces initiatives sont marginales. Le principal problème de la pollution par le textile, c’est la surconsommation. À l’échelle mondiale, selon les données de Myriam Laroche, consultante en virage écologique dans l’industrie de la mode, « un vêtement est porté en moyenne sept fois avant d’être jeté. Plus de 50 % de la mode éphémère produite est jetée moins d’un an plus tard. Et depuis 2008 seulement, à l’ère de la culture de surconsommation, la production de vêtements a augmenté de près de 200 %, et la consommation de plus de 60 % ».
La mode, c'est un secteur assez triste. [Et] les vêtements ne vont pas dans le bac de recyclage.
C’est donc la mode éphémère, peu chère, peu durable et utilisant souvent des tissus polluants qui est au banc des accusés. « Si un vêtement neuf coûte moins de 20 dollars », c’est qu’il vient de cette industrie, dit Myriam Laroche.
Les solutions sont toutefois souvent plus complexes qu’elles en ont l’air, poursuit-elle. Le coton est biodégradable, mais sa production consomme énormément d’eau. La fausse fourrure sauve des animaux, mais elle est fabriquée avec des produits chimiques et n’est pas biodégradable. Myriam Laroche souhaiterait par ailleurs que les machines à laver les vêtements soient munies de filtres permettant de capter les microplastiques.
Des vêtements durables
Le maître mot de la mode responsable est donc la durabilité. Si un vêtement est de bonne qualité, il durera plus longtemps. Isabelle Kaliaguine se souvient des pantalons d’homme qui pouvaient s’ajuster facilement à la taille, selon qu’il maigrissait ou engraissait, et pouvaient donc durer des années.


Petite-fille de couturière, elle a constaté que ce métier n’est pas valorisé au Québec, comme si cette filière attirait nécessairement des gens qui ne peuvent pas faire d’études prolongées. En France, a-t-elle remarqué, les gens ont, ou ont eu plus tendance à faire réparer leurs vêtements qu’à les jeter. « Ils reprisent leurs chaussettes trouées par exemple », dit-elle. Un phénomène plus rare ici.
Avec ses ateliers, elle rejoint toute une population, des adolescents aux personnes âgées, qui souhaite garder ses vêtements plus longtemps, quitte à les transformer, grâce à une applique ou à une broderie, pour en masquer l’usure. Et afficher fièrement sa nouvelle vie.
Une version précédente de ce texte, qui mentionnait que les fibres naturelles peuvent aller au compost, a été modifiée.