Dur lendemain de veille pour l’UNEQ

L’avenir paraît incertain pour l’Union des écrivaines et des écrivains du Québec (UNEQ), après que les membres eurent refusé de lui verser une cotisation. Quelle crédibilité l’union dispose-t-elle maintenant pour représenter les auteurs face aux éditeurs ? D’autant qu’elle ressort aussi affaiblie par les importants problèmes techniques qui se sont succédé au cours de l’assemblée générale de mercredi.
Lors de cette assemblée extraordinaire, qui s’est étirée sur près de sept heures mercredi soir, les auteurs ont refusé la proposition de l’UNEQ de percevoir une cotisation syndicale de 2,5 % sur les revenus de ses membres, et de 5 % sur ceux des auteurs non-membres. À la suite d’un vote électronique confus, un peu moins de 56 % des membres qui étaient toujours en ligne ont rejeté la résolution de l’UNEQ, qui disait avoir besoin de ces nouveaux revenus pour mener à bien ses négociations avec les éditeurs.
Mince consolation pour l’UNEQ : les membres ont approuvé la vente de la Maison des écrivains par une courte majorité de 14 voix. Mais certains contestent aujourd’hui ouvertement la légitimité de ce vote. Le Devoir a parlé à au moins trois auteurs qui comptaient voter négativement, mais qui disent ne pas avoir pu se prononcer à cause des déficiences du système de vote électronique.
D’autres soulignent que les membres se sont penchés sur la question de la Maison des écrivains avant même que les résultats du vote sur les cotisations soient dévoilés. Si les participants avaient su au préalable que la résolution sur les cotisations était rejetée, l’issue aurait pu être différente pour la Maison des écrivains, croit l’auteur Yvon Rivard.
« Il y a sûrement des gens qui auraient compris que ça ne servirait à rien de vendre la maison si, de toute façon, l’UNEQ ne peut pas lever de cotisations. Leur argument pour vendre la maison, c’était qu’ils avaient besoin d’argent pour les négociations. Mais sans cotisations, ils n’auront pas les moyens de mener de grandes négociations dispendieuses avec une batterie d’avocats », raisonne-t-il.
Cela dit, le bâtiment ancestral du carré Saint-Louis ne se retrouvera pas sur le marché avant septembre 2024. Durant les 18 prochains mois, l’UNEQ s’est engagée à tenter de trouver un nouvel acquéreur qui accepte de garder la vocation littéraire de son siège social historique.
Élisabeth Vonarburg fait partie de ceux qui souhaitaient refuser la vente de la maison, telle que proposée par le conseil d’administration. Mais elle affirme ne pas avoir pu voter en raison d’un problème technique lors de l’assemblée générale. Malgré tout, elle soutient qu’elle va se plier au résultat. « Ça relève d’un grand amateurisme de la part de l’UNEQ, mais on ne peut rien y faire. L’important, c’est que la résolution sur les cotisations ne soit pas passée », conclut cette auteure de science-fiction.
Problèmes de communication
L’UNEQ avait tenté une première fois d’imposer des cotisations de 2,5 % à ses membres, et de 5 % à ses non-membres. La décision avait été entérinée à l’assemblée générale de juin 2022, au cours de laquelle à peine 46 personnes avaient pris part au vote. S’en est suivi un tollé au sein du milieu littéraire, d’autant plus que l’UNEQ avait attendu à décembre pour révéler les résultats. Finalement, le syndicat a organisé une nouvelle assemblée générale, qui s’est soldée mercredi par la victoire du non.
« Ça montre que les écrivains ont de la difficulté à avoir une culture syndicale. Beaucoup d’écrivains ont un autre métier, où ils sont déjà syndiqués. Ils ne voient pas l’écriture comme quelque chose qui mérite d’être défendue par un syndicat », analyse Julien Lefort-Favreau, professeur au Département d’études françaises de l’Université Queen’s, à Kingston.
À titre personnel, il est plutôt favorable à la syndicalisation des auteurs et trouverait donc naturel de payer une cotisation en retour. « Il y a de gros enjeux qui s’en viennent concernant les droits d’auteur, le numérique… Et je pense que l’UNEQ peut aider », souligne-t-il. Mais Julien Lefort-Favreau considère que l’UNEQ a très mal expliqué à ses membres ce que pourraient être les bienfaits d’avoir un syndicat fort.
Celui qui est aussi essayiste convient que la crédibilité de l’UNEQ en a pris pour son rhume. Il reste à voir maintenant comment, sans les moyens financiers qu’elle espérait, l’union pourra mener à bien les négociations en cours avec l’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL) et le Groupe Sogides (Québecor).
Pas d’intérêt à être syndiqué
En vertu de la nouvelle Loi sur le statut de l’artiste, l’UNEQ, jadis davantage une association qu’un syndicat, a le mandat de représenter l’ensemble des auteurs au Québec jusqu’en 2025, cotisation ou pas. Auparavant, les auteurs devaient négocier chacun de leur côté leurs propres conditions avec leur éditeur.
Il est de notoriété publique que la grande majorité d’entre eux touchent environ 10 % des ventes de leurs livres. Et même en étant représentés par l’UNEQ, plusieurs ne s’attendent pas à avoir des contrats d’édition plus généreux.
« L’UNEQ a été assez discrète là-dessus. Elle ne nous a jamais promis, par exemple, d’aller chercher 12 %. Par contre, elle a beaucoup parlé des contrats abusifs et des mauvais éditeurs. Mais je la soupçonne d’avoir exagéré le problème. Partout autour de moi, je pense aux gens, et je ne connais personne qui est dans une situation comme celle-là », évoque Yvon Rivard, qui a aussi voté non aux cotisations et qui croit que tout est à refaire.
Au moment où ces lignes étaient écrites, en début de soirée jeudi, l’UNEQ n’avait toujours réagi aux événements de la veille. Le Devoir a demandé au cabinet du ministre de la Culture, Mathieu Lacombe, si l’UNEQ était toujours le bon véhicule, à son avis, pour représenter l’ensemble des auteurs du Québec ; notre question est demeurée sans réponse.