«La grande évasion»: séduits par les régions

Le village d’Hérouxville, rendu célèbre pour son défunt code de vie qui interdisait de brûler vives ou de lapider les femmes, a fait un virage à 180 degrés. La petite municipalité n’a plus peur des immigrants, bien au contraire : elle déroule le tapis rouge aux nouveaux arrivants. Les entrepreneurs de la région réclament haut et fort des travailleurs, peu importe leurs origines.
Le maire d’Hérouxville, Bernard Thompson, ne tarit pas d’éloges envers les 50 personnes venues de l’étranger depuis deux ans pour s’installer dans son village de 1400 âmes. Des gens qui « veulent travailler » et qui tiennent à apprendre le français : « On n’en a pas, de problèmes avec eux ! »
La petite ville de la Mauricie fait le plein de citoyens grâce à la vague de déménagements des grandes villes vers les régions, amplifiée par la pandémie. Les nouveaux résidents d’Hérouxville proviennent de pays lointains, mais aussi d’Alma, de Dolbeau, de Montréal et de Québec, rapporte le journaliste Yvon Laprade dans son essai La grande évasion. Histoire de citadins qui ont fait le choix des régions, qui paraît ce mois-ci aux éditions La Presse.
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Ce mouvement de population « n’est pas une mode passagère due à la pandémie », dit l’auteur en entrevue. La migration vers les régions semble en voie de s’installer, estime Yvon Laprade, qui a lui-même quitté Montréal avec sa conjointe pour s’établir à Saint-Élie-de-Caxton, en 2019. Le couple croise de temps en temps Fred Pellerin, illustre citoyen de ce village de la Mauricie connu pour sa « traverse de lutins » et son « arbre à paparmanes ».
L’engouement pour les régions est réel, souligne le journaliste. Entre le 1er juillet 2021 et le 1er juillet 2022, pas moins de 206 700 personnes ont changé de région administrative au Québec. L’île de Montréal sort perdante de la grande bougeotte des Québécois, avec un solde migratoire négatif de 82 769 personnes pour les années 2020-2021 (48 300 résidents) et 2021-2022 (34 469 résidents).
Le tiers de ces exilés montréalais n’ont traversé qu’un pont pour aller s’établir dans les banlieues au nord ou au sud du Saint-Laurent. Mais les deux tiers ont roulé plus longtemps vers le reste du Québec. Dans son livre, Yvon Laprade raconte le périple d’une trentaine de Québécois qui sont allés vivre dans toutes les régions au fil des ans, et pas seulement depuis la pandémie.
Bienvenue aux immigrants
Les histoires d’immigrants qui choisissent les régions (et de régions en quête d’immigrants) sont la surprise de cet essai étoffé sur les hauts et les bas de la vie hors des grands centres. Les témoignages recueillis par l’auteur contredisent les propos de l’ancien ministre de l’Immigration, Jean Boulet (nommé ministre du Travail pour son deuxième mandat), qui a déclaré l’automne dernier que « 80 % des immigrants […] s’en vont à Montréal, ne travaillent pas, ne parlent pas français ou n’adhèrent pas aux valeurs de la société québécoise ».
Dans le livre d’Yvon Laprade, le maire d’Hérouxville explique ainsi que son équipe prend littéralement les nouveaux arrivants par la main pour les aider à faire l’épicerie, à inscrire les enfants à l’école et à s’installer dans la municipalité. Et ça marche : la MRC de Mékinac a gagné un prix en 2022 pour la qualité de son accueil des personnes immigrantes.
« Les maires font une grande différence dans l’accueil des nouveaux citoyens, qu’ils viennent de l’étranger ou d’autres villes québécoises », a constaté le journaliste de 67 ans, collaborateur au quotidien Le Nouvelliste de Trois-Rivières, qui a travaillé au Journal de Montréal, à Rue Frontenac et à La Presse.
« Sauveurs de jobs »
La petite ville de Lebel-sur-Quévillon, au nord de l’Abitibi, courtise aussi assidûment les gens de l’extérieur. Cette municipalité de 2100 habitants a créé un organisme ayant pour mission de dorloter les nouveaux arrivants : leur trouver un logement, les accueillir à l’aéroport, remplir la paperasse pour la carte d’assurance maladie, les conduire à l’hôpital de Val-d’Or en cas de besoin…
Une fois par année, la Ville organise une fête pour les nouveaux citoyens. Ils reçoivent une enveloppe remplie de billets de spectacle et de coupons pour des repas gratuits au restaurant, et se font rappeler que le hockey mineur est gratuit.
La lune de miel entre la municipalité et les « étrangers » est plutôt récente. En 2011, 22 Tunisiens appelés en renfort à la mine Breakwater étaient considérés par certains (à tort) comme des « voleurs de jobs », déplore le maire Guy Lafrenière. Les perceptions ont changé : les travailleurs étrangers sont devenus des « sauveurs de jobs » parce que leur présence permet de garder des emplois dans les entreprises locales, qui seraient condamnées à fermer sans cette main-d’oeuvre salvatrice.
Le visage de Lebel-sur-Quévillon a changé depuis une décennie. En juin 2022, 86 nouveaux arrivants, dont 62 issus de l’immigration, s’étaient installés. La Ville cherche à attirer une plus grande part des citadins en quête de calme et de grand air, qui deviennent des « citoyens à part entière » dès leur arrivée, souligne le maire.
Choc des cultures
Partout au Québec, les élus et les entrepreneurs pressent les gouvernements de mettre en place les conditions favorables à l’arrivée de nouveaux résidents. À peu près toutes les régions se heurtent à la pénurie de main-d’oeuvre et de logements. Les villes réclament une diversification de leurs sources de revenus pour pouvoir faire construire des logements, aménager des rues et des réseaux d’aqueduc et d’égout, offrir des services aux citoyens…
Les maires espèrent trouver une oreille attentive au gouvernement Legault. L’ancien maire des Îles-de-la-Madeleine, Jonathan Lapierre, candidat défait pour la Coalition avenir Québec (CAQ) aux élections d’octobre 2022, est devenu chef de cabinet de la ministre des Affaires municipales, Andrée Laforest.
« Les régions ont plus de poids politique qu’auparavant en raison de la migration hors des grands centres. Quand les régions parlent, elles ont une meilleure écoute », estime Yvon Laprade.
L’arrivée importante de citadins crée tout de même un choc des cultures dans les villages. Certains néoruraux s’impatientent au volant de leur voiture derrière les tracteurs, dans les rangs. D’autres se plaignent du bruit des motoneiges ou des véhicules tout-terrain. De nouveaux arrivants ne s’habituent pas à l’odeur du fumier. Les gens des régions, eux, en ont assez des investisseurs qui offrent leur maison en location sur Airbnb, ce qui aggrave la crise du logement.
Trois ans après leur installation à Saint-Élie-de-Caxton, Yvon Laprade et sa conjointe ne regrettent pas leur choix. Ils adorent leur nouvelle vie au village, à deux pas de la rivière et pas trop loin des services, à Shawinigan. « J’ai quand même un pincement au coeur quand je reviens à Montréal, dit l’auteur. J’aime la ville. Je ne suis pas parti par dépit. Je reste ouvert à aller ailleurs plus tard. Je suis déracinable ! »