L’essayiste Jean-Marie Apostolidès s'est éteint

L’essayiste Jean-Marie Apostolidès est mort. Né en France en 1943, à Saint-Bonnet-Tronçais, il a passé plusieurs années au Québec, où il avait son lot d’amis, avant d’enseigner à Harvard, puis de devenir professeur de littérature française et d’études théâtrales à l’Université de Stanford.
Il avait contribué à faire redécouvrir l’oeuvre de Patrick Straram, le Bison ravi, monument de la contre-culture québécoise, tout en s’intéressant par ailleurs de près au mouvement situationniste et à Guy Debord en particulier. Il préparait pour l’automne un colloque consacré à Straram qui doit se tenir à Montréal. « Si dans les mois qui viennent, j’avais l’occasion de faire un dernier voyage, c’est à Montréal que j’irais plutôt qu’à Paris », a-t-il écrit ces derniers jours. Il est mort en Californie, où il habitait depuis plusieurs années.
Spécialiste des avant-gardes, Apostolidès a publié Les Tombeaux de Guy Debord (2006). Il est aussi l’auteur d’une biographie de l’auteur de La société du spectacle intitulée Guy Debord, le naufrageur (2015). Il voit dans la figure du révolutionnaire Debord celle d’un moraliste du XXe siècle à la facture très classique. Sa perspective sur celui-ci fut très vivement critiquée par plusieurs compagnons de route du mouvement situationniste, dont Gianfranco Sanguinetti. Pour Apostolidès, Guy Debord « a incarné à sa façon les contradictions des intellectuels de gauche, qu’il a pourtant pu dénoncer, et avec quelle virulence, de Morin à Godard ».
C’est Apostolidès qui avait traduit en français le Manifeste contre la société industrielle (1996) de Theodore Kaczynski (Unabomber), offrant par la suite une édition préfacée et annotée par ses soins.
Sylvano Santini, professeur au département d’études littéraires à l’UQAM, rappelle qu’Apostolidès a écrit une pièce de théâtre imaginant la rencontre entre le théoricien et poète Ivan Chtcheglov — un ami de Patrick Straram et de de Guy Debord — avec Pierre Elliot Trudeau. « Cette rencontre a véritablement eu lieu, à l’été 1959 : c’est à la demande de Straram que Trudeau rencontre Chtcheglov à Paris. Comme on ne sait rien de cette rencontre, Apostolidès l’a imaginée, en profitant de l’occasion pour parodier les premiers élans de Trudeau vers la conquête du pouvoir. »
Du côté de Tintin
Touche-à-tout, Jean-Marie Apostolidès s’intéressait aussi de près à l’univers de la bande dessinée. Spécialiste d’Hergé, il a consacré de multiples essais à l’illustre petit reporter à la houppette dont, en 1984, Les Métamorphoses de Tintin, puis L’Archipel Tintin en collaboration avec l’essayiste Benoît Peeters.
« Jean-Marie Apostolidès, qui avait grandi en France, aimait le Québec et a fait l’essentiel de sa carrière en Californie », explique Benoit Peeters au Devoir. « Cela lui donnait une position originale, mais pas toujours simple à vivre. Les milieux intellectuels français n’ont sans doute pas reconnu son oeuvre à sa juste valeur. Jean-Marie Apostolidès a écrit jusqu’à la fin. Il nous laisse des textes à découvrir. C’était un esprit libre, inventif et attachant. »
En 2012, avec le dessinateur montréalais Luc Giard, passionné lui-même par Tintin, Jean-Marie Apostolidès fait paraître un roman graphique aux accents orientaux : Konoshiko. Apostolidès avait entrepris de mieux faire connaître le travail de ce dessinateur « underground » montréalais. Au Devoir, Luc Giard affirme que cette mort constitue « un trou énorme dans sa vie ». Apostolidès avait été un des premiers à faire valoir son travail inclassable sur la scène internationale.
Jean-Marie Apostolidès a enseigné la psychologie à Montréal, au début des années 1970, après avoir vécu un temps à Toronto. Il est revenu régulièrement par la suite à Montréal, son épouse, Danielle Trudeau, étant une Québécoise.
C’est la publication, en 1981 aux Éditions de Minuit, de son livre sur le pouvoir, Le Roi-machine qui l’avait fait le plus connaître, alors qu’il faisait du Roi-Soleil, Louis XIV, une usine à spectacle bien rodés. Il a aussi publié des pièces de théâtre ainsi qu’une étude consacrée à Cyrano, qui fut tout et qui ne fut rien, le personnage romantique d’Edmond Rostand.
« Toutes les existences sont solidaires les unes des autres », écrivait Apostolidès en 2001, dans un roman intitulé L’Audience.
En 2022, un colloque international lui a été consacré à l’université de Strasbourg, mettant en lumière le fait qu’il s’est intéressé aux « mutations majeures de la sensibilité occidentale ».
Jean-Marie Apostolidès avait 79 ans. Il est décédé d’un cancer assez rare, fulgurant.