«Délicat»: d’un autre temps

L’autodérision de Fabien Cloutier manque de mordant, si bien qu’on sourit beaucoup, mais qu’on rit rarement.
Michel Grenier L’autodérision de Fabien Cloutier manque de mordant, si bien qu’on sourit beaucoup, mais qu’on rit rarement.

Sept ans après Assume, son premier spectacle d’humour, Fabien Cloutier récidive en ce moment avec Délicat, un stand-up qui ne dépaysera certainement pas celles et ceux qui l’ont connu grâce à Scotstown ou à Cranbourne. En effet, dans le ton et la manière, les thèmes et leur traitement, le regard et le vocabulaire, on reconnaît le conteur que l’homme a été, et qu’il n’a en fin de compte jamais cessé d’être.

Originaire de Sainte-Marie-de-Beauce, Fabien Cloutier habite maintenant Longueuil. C’est probablement pour cette raison que plusieurs de ses nouvelles observations s’appuient sur les différences entre la campagne, la ville et la banlieue, sur les habitudes de vie et de consommation des uns et des autres, sur le gouffre qui se creuse entre les préoccupations des nantis et celles des démunis. Bien que l’humoriste n’hésite pas à dépeindre son confort indécent — sushi, vin blanc et écran 4K pour visionner un passionnant documentaire sur les bidonvilles —, son autodérision manque de mordant. Si bien qu’on sourit beaucoup, mais qu’on rit rarement.

Même approche en ce qui concerne l’environnement. Fabien Cloutier nous expose longuement les nombreux avantages du réchauffement climatique. Pensez à tous les fruits exotiques qu’on n’aura plus besoin d’importer. Pensez aux hivers rigoureux qui ne seront plus qu’un lointain souvenir. La fonte des glaces ? Ce serait l’occasion rêvée de voir enfin ce qui se cache sous la calotte glaciaire du Groenland. Il y a peut-être des trouvailles à faire, explique Cloutier. Ces gens-là, ajoute-t-il, ils ont droit, eux aussi, au grand bonheur de tondre leur pelouse.

Dans sa manière de traiter un sujet à ce point crucial, qui aurait mérité qu’on l’aborde de façon viscérale, cinglante, étonnante, ou même juste rafraîchissante, on reconnaît au contraire quelque chose d’étrangement daté, pour ne pas dire d’anachronique. On sent pourtant chez l’humoriste une sincère préoccupation pour l’état de la planète, un véritable trouble suscité par les mauvaises conditions dans lesquelles nombre d’humains doivent vivre et travailler. Comme plusieurs individus dans sa situation, il n’est pas rare que l’humoriste soit perclus de culpabilité. Il sait bien que les mains des ouvrières indiennes sont brûlées par l’acidité des noix de cajou… mais il ne peut tout simplement pas s’empêcher d’en acheter des « chaudières » chez Costco.

Là où Cloutier renoue sans réserve avec son passé de conteur, c’est lorsqu’il donne dans le dégoûtant et le malodorant. Il est notamment question du navet, seul légume qu’il a envie de manger après l’avoir « chié », pour voir si ce ne serait pas meilleur que la version originale. On l’entend aussi beaucoup parler de son ami à l’anus spectaculairement transformé par l’inflammation. D’un bouton qui a l’air d’un kiwi et dont le contenu sent la charogne. D’un pénis d’où s’écoule une substance purulente. Sans oublier la chronique épique et détaillée d’une violente diarrhée dans l’autobus. Coeurs sensibles s’abstenir.

Ce qu’on retrouve avec bonheur, ce sont les qualités de conteur de Fabien Cloutier, son sens du récit et du rythme, sa capacité de créer dans l’esprit du spectateur des images fortes. On s’étonne toutefois qu’il n’ait pas davantage recours au mime, alors qu’il est fort doué pour la chose, et qu’il n’incarne pas plus souvent des personnages, comme le désopilant vieillard qui se cramponne à sa tablette. Ça ajouterait certainement beaucoup de relief au portrait qu’il dresse de son époque.

Délicat

De Fabien Cloutier. Une production d’Encore spectacle. En tournée à travers la province jusqu’en avril 2024.

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