«Juniper»: Charlotte Rampling, divinement malcommode

Charlotte Rampling est une déesse : voilà, c’est dit. On pardonnera l’hyperbole, mais il reste que cette actrice a su maintenir, au gré de ses 60 ans de carrière, une aura unique. En témoignent The Night Porter (Portier de nuit), de Liliana Cavani, Angel Heart (Aux portes de l’enfer), d’Alan Parker, Sous le sable, de François Ozon, 45 Years (45 ans) d’Andrew Haigh, et Dune –Part One (Dune : première partie), de Denis Villeneuve, pour ne nommer qu’une poignée de films. Charlotte Rampling est mue par une sensibilité éclectique, un goût du risque, et un don pour repérer les cinéastes visionnaires.
Même lorsque le matériau dramatique s’avère en deçà de son extraordinaire talent, Charlotte Rampling est toujours, au minimum, captivante. Ce que rappelle le récent Juniper (Le passé retrouvé), un récit familial un brin familier.
On y suit Sam, un adolescent dépressif qui multiplie les incartades dans le pensionnat où son père l’a envoyé après le décès de sa mère (non, papa n’est pas un fin psychologue). Or, Sam n’est pas au bout de ses peines, ni de sa peine d’ailleurs, puisqu’il se trouve que Ruth, sa grand-mère paternelle qu’il n’a jamais rencontrée de sa vie, occupe à présent la chambre de feu sa mère.
Confinée à un fauteuil roulant à la suite d’un accident, Ruth a dû quitter l’Angleterre pour venir s’installer en Nouvelle-Zélande, où résident son fils et son petit-fils. Ancienne photographe de guerre, Ruth est caractérielle, misanthrope et, surtout, alcoolique.
Lorsque le père part en voyage d’affaires (ce qui n’est pas plus mal considérant que le personnage est sous-écrit), Sam et Ruth ont tout loisir de se regarder en chiens de faïence avant, qu’inévitablement, survienne un rapprochement.
Communiquer l’impuissance
Ainsi, tout ou presque se révèle assez prévisible dans l’intrigue concoctée par le réalisateur et scénariste Matthew J. Saville, dont c’est là le premier long métrage. On apprécie en revanche un refus, désormais trop rare, de tout expliciter par l’entremise du dialogue.
De fait, Saville s’en remet volontiers à ses interprètes et à leur capacité (c’est après tout leur métier) de communiquer émotions et intentions à travers un regard, un silence, une posture…
En la matière, et pour revenir à la principale raison de voir le film, Charlotte Rampling n’a pas son pareil : un frémissement de paupières, un pincement de lèvres, et voici qu’on prend la mesure de l’impuissance de Ruth. Infirme et dépendante, elle, jadis aventurière intrépide…
D’où sa colère sourde, et d’où ses commentaires sardoniques, voire franchement hostiles : il faut l’entendre rembarrer un pasteur à la bienveillance moralisatrice. Après qu’il lui eut déclaré ne rien pouvoir pour elle si elle n’a pas la foi, Ruth lui répond sans sourciller : « Then fuck off. » La vulgarité a quelque chose de presque élégant dans la bouche de la star.
De beaux moments
Il est de très beaux moments, notamment ce « beau grand slow », pour citer Richard Desjardins, lors duquel Sam et Ruth dansent au milieu des amis que l’adolescent a invités à faire la fête. Sous les étoiles, ces deux êtres blessés, et prêts à mordre pour cette raison, partagent un rare instant de tendresse et de compréhension mutuelle. Impossible de garder les yeux secs (tout comme lors du dénouement, pour le compte).
Dans le rôle de Sam, George Ferrierest excellent. C’est toutefois Charlotte Rampling qui, par sa seule présence, ajoute un surcroît d’intérêt considérable au film. Un film qu’on aurait souhaité davantage à la hauteur de l’immense actrice.