Sophie Prégent quitte l’UDA la tête haute

Sophie Prégent quittera la présidence de l’Union des artistes (UDA) au début du printemps, au terme d’un règne qui se sera avéré plus que mouvementé. Durant ces 10 dernières années, les plateformes ont mis à mal l’industrie télévisuelle, le milieu artistique a été éclaboussé par des révélations d’inconduites sexuelles et une pandémie a plongé nombre d’artistes encore davantage dans la précarité. Au plus fort de la crise sanitaire, la comédienne confie avoir sérieusement craint pour l’avenir du syndicat. Mais elle partira avec le sentiment du devoir accompli, convaincue de laisser une maison en ordre.
« Quand je suis arrivée en poste, en 2013, mon prédécesseur [Raymond Legault] m’a dit que j’allais gérer la décroissance. Mais ce n’est pas ça du tout qui est arrivé. Il se signe plus de contrats que jamais dans le milieu de l’audiovisuel. Aujourd’hui, l’UDA est en bien meilleure santé financière qu’il y a dix ans », lance Sophie Prégent derrière son vaste bureau, d’où elle a un impressionnant panorama sur l’est de Montréal.
Celui ou celle qui s’assoira dans ce fauteuil n’affrontera probablement jamais une crise aussi importante que celle qu’elle a eue à gérer durant plus de deux ans. Au début de la pandémie, alors que la plupart des membres se retrouvaient sans emploi du jour au lendemain, les revenus de l’UDA tirés des cotisations ont chuté. « Tout m’est passé par la tête à ce moment-là », se souvient Sophie Prégent, qui décrit cette période comme la plus difficile de sa présidence.
Dieu merci, le milieu de l’audiovisuel a pu reprendre ses activités rapidement, et les cotisations sont ainsi reparties à la hausse. Le milieu des arts vivants a beaucoup plus souffert de la pandémie, mais la situation est finalement revenue à la normale presque trois ans plus tard, même si la fin prochaine des aides à la billetterie inquiète.
Encore du pain sur la planche
Si l’UDA se trouve dans une conjoncture plus enviable qu’il y a dix ans, on ne peut prétendre pour autant que les conditions de travail des quelque 8500 membres actifs du syndicat se sont améliorées dans la dernière décennie. Certains diront qu’elles ont même régressé. Certes, il n’y a jamais eu autant de productions, et donc d’artistes qui travaillent. Mais le rythme de tournage s’est considérablement accéléré, et les conditions en ont souvent pâti.
« Avant, il y avait juste trois postes de télé. Maintenant, tout est éclaté. Le problème, c’est qu’il n’y a pas plus d’argent. La tarte est restée la même, elle est juste divisée en plus de pointes. Il y a des artistes qui s’en réjouissent, car ils travaillent alors qu’avant, ils avaient de la difficulté. Mais ceux qui travaillaient déjà se plaignent que les conditions se sont dégradées sur les plateaux et qu’ils ne peuvent plus autant négocier leur salaire. Serait-il préférable de moins tourner pour offrir de meilleures conditions ? Ou est-ce mieux que tout le monde travaille ? Sincèrement, je ne le sais pas. Je n’ai pas de réponse à cette question », reconnaît presque candidement la présidente sortante de l’UDA.
La comédienne a un temps songé à solliciter un troisième mandat. Mais, à 58 ans, elle juge qu’il est temps de passer le flambeau, idéalement à quelqu’un d’une autre génération, pour « être capable de parler aux membres plus jeunes ». À l’heure actuelle, seul le comédien Pierre-Luc Brillant a fait connaître publiquement son intention de se présenter à l’élection du 27 mars. Sophie Prégent ne veut pas jouer les belles-mères, mais elle laisse savoir que ce serait l’expression d’une démocratie syndicale saine que plusieurs membres se portent candidats.
Qu’importe, les défis qui attendent le prochain président sont nombreux. À commencer par la régulation des plateformes d’écoute. Avant son départ, Sophie Prégent espère d’ailleurs que le Parlement fédéral adoptera le projet de loi C-11, qui cherche à assujettir les géants du Web au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC).
« C-11 est un socle sur lequel notre culture va pouvoir s’appuyer, mais ça doit être juste le début du combat. Il faut faire des lois encore plus sévères, des quotas, pour que notre culture survive. Il faut que le CRTC soit capable de mettre ses culottes devant les plateformes qui ne respectent pas leurs obligations », tonne-t-elle en se lançant dans un vibrant plaidoyer, qui sonne comme un conseil pour le prochain président.
Des victoires et quelques critiques
Durant son règne, Sophie Prégent s’est fait un point d’honneur de défendre la culture québécoise devant les géants du Web, ce qui ne l’a pas empêchée de militer activement pour une meilleure représentation à l’écran des artistes issus des minorités, visibles ou autres. Les progrès des dernières années en matière de diversité sont parmi ses plus grandes fiertés à l’issue de sa présidence. « C’est le jour et la nuit entre mon entrée et ma sortie. Mon Dieu qu’il s’en est passé, des choses sur l’inclusion ! Je pense que, dans quelques années, ce seront des combats qui vont avoir été gagnés. Est-ce que tout est parfait ? Non. Mais ça n’a rien à voir avec ce que c’était. On a vraiment ébranlé les colonnes du temple », se réjouit-elle.
L’adoption par Québec de la réforme du statut de l’artiste, après plusieurs années d’attente, compte aussi incontestablement parmi son legs. En dix ans, son leadership n’a jamais vacillé, sauf peut-être au début du mouvement #MoiAussi, en 2017. Lorsque le comportement du réalisateur Sylvain Archambault avait été dénoncé dans un article de La Presse, Sophie Prégent avait expliqué à la radio qu’elle n’avait eu aucun problème avec lui sur le plateau de la série Cheval-Serpent, dans laquelle elle tenait l’un des premiers rôles. Des artistes bien en vue lui avaient reproché d’avoir répondu comme une simple comédienne, et non pas en tant que présidente d’un syndicat. On allait jusqu’à remettre en question le fait qu’elle puisse continuer d’exercer son métier d’actrice pendant qu’elle occupait la plus haute fonction à l’UDA.
Sophie Prégent refuse de revenir sur cet épisode. La présidente sortante se braque lorsqu’on lui demande si son successeur devrait être un membre plus en retrait de l’industrie, pour ne pas se retrouver en apparence de conflit d’intérêts. « On ne poserait pas cette question à une infirmière ou à un pompier. J’ai de la misère à croire que quelqu’un qui est complètement à l’écart du milieu a la légitimité pour défendre ses pairs », réplique-t-elle.
La comédienne vedette, que l’on pourra bientôt voir dans la troisième saison d’Alertes à TVA, aura encore plus de temps, après le 27 mars, à consacrer à son métier, qui la passionne toujours autant. Elle souhaite néanmoins briguer un mandat d’administratrice au sein de l’UDA, afin d’assurer une transition douce. Toujours animée par le désir d’améliorer le sort des artistes, Sophie Prégent écarte pour l’instant l’idée de se lancer en politique active.