Québec prêt à serrer la vis à Spotify et à Netflix
Le ministre de la Culture, Mathieu Lacombe, se pose en défenseur de l’identité québécoise face aux plateformes numériques, qui ont éloigné une partie de l’auditoire des productions locales, en particulier les plus jeunes. Dans une entrevue accordée au Devoir, il s’est même dit prêt à légiférer pour forcer les Netflix et Spotify de ce monde à mettre les contenus québécois en avant, quitte à se faire accuser d’empiéter dans un champ de compétence fédérale.
Rappelons que le gouvernement Trudeau a déposé le projet de loi C-11, qui forcerait les géants du Web à respecter un ensemble de mesures pour promouvoir le contenu canadien. La semaine dernière, Mathieu Lacombe a écrit au ministre fédéral du Patrimoine, Pablo Rodriguez, pour qu’il tienne compte dans la loi de la spécificité québécoise en y ajoutant un « mécanisme de consultation obligatoire et officiel du gouvernement du Québec ».
Une demande qui est restée lettre morte, d’où la possibilité que Québec légifère à son tour, même si le gouvernement Legault ne s’engage à rien pour le moment. « C-11 va s’attaquer au problème de fond, mais avec des lunettes canadiennes. Moi, je souhaite que quand on est en territoire québécois, on regarde cet enjeu-là avec les lunettes québécoises, d’abord et avant tout. On s’entend, C-11 est un gain. Les produits culturels québécois vont mieux se porter après son adoption. Mais est-ce qu’on peut en faire plus pour protéger encore mieux nos artistes ? […] Je pense que oui », a déclaré lundi en entrevue le ministre Lacombe.
Comme à la librairie
La culture est certes une compétence partagée, mais la réglementation de la radiodiffusion a toujours été l’apanage du gouvernement fédéral. Mathieu Lacombe est toutefois convaincu que Québec dispose de certains leviers pour améliorer la « découvrabilité » de la culture québécoise sur les grandes plateformes. Légiférer en la matière n’aurait rien d’inconstitutionnel, croit-il.
« Quand on pose la question à des juristes, il y a là un débat intéressant. […] Il n’y a rien de décidé encore, mais si on choisit d’aller de l’avant avec une loi, ce ne serait pas en contradiction avec C-11 de toute façon. Peu importe le geste que l’on décidera de poser, ce serait complémentaire à C-11. Tout ce qu’on veut, c’est renforcer la protection de la spécificité québécoise », a précisé celui qui a été nommé à la Culture en octobre dernier.
Le ministre sait que le gouvernement ne pourra jamais forcer les gens à écouter une chanson, une série ou un film québécois. Mais il serait possible de faire mieux si les plateformes mettaient davantage à l’avant-plan les contenus d’ici, soutient Mathieu Lacombe, qui se désole que seulement 8 % des chansons écoutées en ligne dans la province soient québécoises.
Moi, je souhaite que quand on est en territoire québécois, on regarde cet enjeu-là avec les lunettes québécoise, d'abord et avant tout
Pour expliquer ce qu’il entend par une meilleure « découvrabilité » des contenus québécois, le ministre de la Culture se plaît à faire une analogie avec une librairie. « Quand vous entrez dans une librairie au Québec, dit-il, vous pouvez acheter ce que vous voulez. Personne ne vous empêche d’acheter un livre américain. Mais quand vous rentrez, ce qu’on vous propose dans la vitrine, ce sont des livres québécois, ce sont des livres en français. Ça permet donc aux gens de découvrir les livres de chez nous, au-delà des grands succès internationaux. »
Les résidus de la pandémie
Ce ne sont pas les dossiers qui manquent en matière de culture, un secteur considérablement éprouvé par la pandémie. Instaurée durant la crise sanitaire pour permettre aux salles de spectacle de passer à travers la crise, l’aide à la billetterie devrait cesser à la fin mars. Plusieurs diffuseurs s’en inquiètent, comme certains spectateurs ne sont toujours pas revenus en salle, malgré la reprise.
« On ne les laissera pas tomber », a tenu à indiquer Mathieu Lacombe, qui, se voulant rassurant, a fait savoir que de nouvelles mesures seraient annoncées en vue du prochain budget, qui sera déposé ce printemps. Celles-ci pourraient spécialement viser les spectateurs, notamment en leur offrant des incitatifs à la consommation de produits culturels québécois. L’idée d’un passeport culturel ne semble pas déplaire au ministre.
« On a encore beaucoup le réflexe de parler de pandémie. Oui, il y a des résidus de la pandémie dans nos salles. Mais le contexte économique joue encore plus à l’heure actuelle. Quand les gens ont moins d’argent dans leurs poches, c’est souvent le billet de spectacle ou de cinéma qui écope », a-t-il fait valoir.
Le ministre s’est tout de même engagé à maintenir une aide destinée directement aux exploitants de salles. Il s’est montré plus évasif lorsqu’il a été question du soutien aux promoteurs de festival. Plusieurs d’entre eux ont interpellé Québec et Ottawa la semaine dernière, demandant que les aides pandémiques soient un temps remises en place afin qu’ils puissent faire face à l’inflation et à la pénurie de main-d’œuvre. En trois ans, la masse salariale des festivals aurait augmenté de l’ordre de 30 % à 50 %, disent-ils.
Il n'y a rien de décidé encore, mais si on choisit d'aller de l'avant avec une loi, ce ne serait pas en contradiction avec C-11 de toute façon
« Je comprends que c’est leur demande. Maintenant, est-ce qu’on fait juste injecter de l’argent ? Probablement que c’est une solution à la pénurie de main-d’œuvre. Mais est-ce qu’on peut aussi mutualiser des services, par exemple ? […] Peut-être que si [les festivals] se mettent tous ensemble, on va réussir à offrir du travail à temps plein avec de bons salaires. L’un des principaux problèmes, c’est que [les festivals, pris individuellement,] n’arrivent pas à attirer du personnel à temps plein, avec la hausse des salaires », a-t-il laissé entendre.
Chose certaine, le ministre aura du pain sur la planche dans les prochains mois. Il travaille sur une réforme du fonctionnement de la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC), l’un des principaux bailleurs de fonds dans l’industrie culturelle. Il n’a cependant pas voulu donner plus de détails pour l’instant.
À moyen terme, il n’écarte pas non plus l’idée de rouvrir la loi sur le statut de l’artiste, comme l’avait fait sa prédécesseure immédiate, Nathalie Roy.