Le monde leur appartient

Sami Landri (à gauche) et Xavier Gould, alias Chiquita Mére, sa partenaire au long cours à la vie comme à la scène.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Sami Landri (à gauche) et Xavier Gould, alias Chiquita Mére, sa partenaire au long cours à la vie comme à la scène.

« Mon first viral hit a pogné par accident et ça a été le début de mon whole journey sur les médias sociaux. » Cet événement grisant qu’évoque Sami Landri a eu lieu au petit matin à Edmundston devant l’hôtel où l’Acadienne séjournait avec ses consoeurs Chiquita Mére, Rose Beef et Parisienne dans le cadre d’une tournée de drags rurale et francophone, inédite au Nouveau-Brunswick. « Je vais dire à ta mère que tu fumes du pot ! Arrête tes niaiseries là, ton attitude tu peux la serrer ! » somme dans un délicieux chiac la drag queen grimée en un alter ego trashy sorti des années 2000 — jeans taille basse, crop top, forte poitrine et bouche rose entourée au crayon noir — et bien loin des standards dictés par RuPaul’s Drag Race. Près de deux ans plus tard, la vidéo culmine à 1,2 million de vues sur TikTok et celles qui comptent des visionnements à sept chiffres sont légion. Dorénavant, quelque 400 000 personnes suivent quotidiennement sa bonne fortune sur les plateformes.

« Ça a été une huge surprise. On se prenait pour des rockstars et on feelait comme les most badass persons in the whole world parce qu’on se faisait bien payer pour se produire dans les villages des Maritimes », se souvient Sami Landri, aux anges de pouvoir partager son acadienneté et son identité queer avec d’autres depuis deux ans. Et Xavier Gould, alias Chiquita Mére, sa partenaire au long cours à la vie comme à la scène, qui chaque fois capture en image cette énergie exubérante, de renchérir : « on savait que ce qu’on faisait était vraiment unique et spécial ». Là où il n’y avait jamais eu de spectacles de drag queens et d’artistes queers francophones, la paire, basée à Montréal et originaire de la grande région de Moncton, a en effet su amener son grain de folie pour imprégner notablement le paysage culturel local. Xavier Gould estime qu’aujourd’hui, le portrait du Nouveau-Brunswick, la seule province officiellement bilingue, est plus juste. « On faisait whatever the fuck qui nous plaisait et, comme on était les premières, on n’avait pas cette pressure-là de faire d’une façon bien définie pour pouvoir se faire booker. Maintenant, il y a plein de nouvelles performers acadiennes qui se démarquent et qui continuent à faire des shows ruraux en français », souligne la drag queen.

La beauté assumée du chiac

 

Si beaucoup pensent que le duo s’exprime en franglais, Xavier Gould tient à tirer la situation au clair. « On parle le chiac, un dialecte acadien du sud-est du Nouveau-Brunswick avec une structure francophone qui a ses racines dans le vieux français, l’anglais et le français actuel. » Mais pas n’importe quel chiac. « Après mes études à Mount Allison, l’université anglophone de Sackville, j’ai commencé un blogue de poèmes, de textes critiques et de capsules stupides de personnages qui parlaient un chiac féminin, comme Jass-Sainte », explique l’artiste multidisciplinaire qui évolue également dans la littérature, le théâtre, l’humour et le cinéma. Selon Xavier Gould, la musicalité du chiac parlé par les femmes est différente de celle des hommes, qui racontent aussi des choses distinctes.

Aussitôt que j’ouvre ma bouche dans la francophonie, la première chose qu’on me dit c’est “ah ton accent ceci, ton accent ça”. Les gens ne comprennent pas.

 

« Ce chiac féminin m’a permis de m’assumer dans mon identité queer. Grâce à l’ambiguïté — femme ? homme ? personne non binaire ? — je me moquais de notre culture et je me plongeais dans les stéréotypes… un peu comme une drag linguistique. C’est très chiac dans l’esprit ! » Ce « langage d’humour et d’amour » reflète, toujours d’après Xavier Gould, cette texture de l’acadienneté typique du sud-est, pleine de moqueries et d’autodérision. « C’est exactement ce qu’on fait avec notre drag. Ce n’est pas qu’on ne prend pas la chose au sérieux, c’est qu’on ne se prend pas au sérieux », précise l’artiste.

« Aussitôt que j’ouvre ma bouche dans la francophonie, la première chose qu’on me dit c’est “ah ton accent ceci, ton accent ça”. Les gens ne comprennent pas », fait pour sa part remarquer Sami Landri, qui veut plus que tout utiliser le chiac à son plein potentiel et le faire rayonner. « Avec Xavier, on assume la responsabilité de le parler et de donner notre point de vue sur notre Acadie et notre langue. » De son côté, Xavier Gould souligne que les deux n’ont jamais eu à compromettre leur manière de parler pour décrocher un contrat à Montréal, alors que les débats sur la langue française ont repris de plus belle. « La promotion de la “bonne” langue française, ça peut still exister, mais y’a pas besoin d’avoir un effacement des dialectes. À la fin de la journée, il y a des communautés qui parlent la way qu’on parle et qui sont toujours là. »

Puisque leur réussite s’épanouit de façon exclusivement indépendante (collaborations avec Lisa LeBlanc, participations à Fierté Montréal), Xavier Gould et Sami Landri, de ce fait, ne ressentent pas la nécessité de plaire au grand public en adoptant un ton lisse et aseptisé. « Je ne masque pas mon chiac juste parce que les Québécois ou les Français ne comprennent pas tout ce que je dis »,, se targue Sami Landri avant de déplorer que les personnages acadiens à la télévision « vont souvent avoir un totally fake chiac très français avec des mots anglais dedans ». « Je feel encore plus la responsabilité de parler un chiac qui est vrai, car c’est pas tout le monde qui va le défendre », ajoute la drag queen.

Un an et demi après avoir emménagé à Montréal pour poursuivre leurs carrières respectives, Sami Landri souhaite pousser plus loin l’expérience de drag queen chiac. « Il y a clairement quelque chose pour moi icitte and i’m gonna chase it. Je suis aware que mon succès est lié au fait que je parle comme que je parle. Ça peut paraître un peu weird, mais le chiac m’a donné beaucoup », s’enthousiasme l’étoile montante des réseaux sociaux. Coïncidence ou pas, sa popularité en ligne a ainsi explosé au moment de son arrivée dans la métropole, au point de remettre en question bon nombre de choses. « C’est le plus gros cadeau que j’ai ever eu de l’univers : non seulement mes vidéos sont devenues virales, mais, tout d’un coup, j’ai eu des fans ! Ça a changé everything », conclut Sami Landri qui promet soutenir le chiac en musique, très bientôt.

À venir

Sami Landri sera en performance à la dance party Gaydonna le 3 février au Cabaret Berlin, à Montréal

Xavier Gould fera paraître le recueil de poésie des fleurs comme moi en mars aux éditions Prise de parole et sera à l’affiche de la pièce Laitue Matinal·e en avril au théâtre La Nouvelle Scène Gilles Desjardins d’Ottawa

À (re)voir : Identité | Faire son sermon en drag



À voir en vidéo