Jean-Claude Leclerc, « bon allié » du journalisme d’enquête

Éditorialiste au Devoir, chroniqueur, professeur, le journaliste Jean-Claude Leclerc est décédé samedi à Montréal à l’âge de 83 ans. Cet homme volubile attachait à l’exercice de son métier de hautes exigences de probité.
La veuve du défunt, Ginette Thériault, a confirmé au Devoir que M. Leclerc est décédé subitement d’une hémorragie cérébrale.
Au fil d’une carrière, menée pour une large part avant l’avènement des outils numériques, il s’était entouré de quantité de documents qui, à l’entendre, s’avéraient plus importants encore que les éléments qu’il en tirait pour son travail. Il vouait à l’exercice du journalisme une sorte de culte renouvelé au gré de la marée d’information que charrie le quotidien.
Jean-Claude Leclerc pouvait disserter d’abondance des tenants et aboutissants de la déontologie journalistique. Au Devoir, il a agi longtemps à titre de fiduciaire, se portant garant des journalistes, après un examen annuel du respect des normes en matière de conflit d’intérêts et de questions de déontologie.
Pendant deux décennies, d’abord sous la direction de Claude Ryan, Jean-Claude Leclerc fut éditorialiste au Devoir. En octobre 1973, lorsque Le Devoir prend officiellement position, sous la plume de Ryan, en faveur de la réélection du gouvernement libéral de Robert Bourassa, les éditorialistes Jean-Claude Leclerc et Laurent Laplante s’opposent. Tandis que Ryan reconduit, dans de longs textes nourris, sa confiance à l’égard des libéraux, Jean-Claude Leclerc pointe les « capitulations tranquilles » de ce gouvernement et son refus d’adopter la représentation proportionnelle comme mode électoral. Qui plus est, écrit-il, Robert Bourassa « dirige un parti qui se finance toujours aux puissances d’argent », mettant en cause la respectabilité de l’ensemble.
Un journaliste d’enquête
L’ex-journaliste Jean-Pierre Charbonneau soutient que Jean-Claude Leclerc « était en mesure de tenir tête à Claude Ryan et de lui dire ce qu’il pensait ». Quand Charbonneau arrive au Devoir en 1971, c’est Leclerc qui lui confie des dossiers d’enquête. « C’est lui qui m’a donné mes premiers dossiers sur la corruption municipale. Et ça a conduit le gouvernement à faire une enquête. Jean-Claude Leclerc était quelqu’un qui n’était pas naïf. Il s’intéressait aux dessous de notre société, à ce qu’il y avait derrière le “paraître”. Il cherchait à dénouer les intrigues pas trop avouables de notre monde. C’était un bon allié pour le journalisme d’enquête. » En 1980, il avait été l’un des membres fondateurs du Centre pour le journalisme d’enquête.
Il s’intéressait aux dessous de notre société, à ce qu’il y avait derrière le “paraître”. Il cherchait à dénouer les intrigues pas trop avouables de notre monde.
Selon Louis-Gilles Francoeur, Jean-Claude Leclerc éprouvait une admiration ambivalente pour Claude Ryan. « Il l’admirait, mais en même temps ne le suivait pas sur plusieurs dossiers. » Au début des années 1970, se souvient Francoeur, « Jean-Claude représentait un pôle progressiste au Devoir. Il était souverainiste, mais très modéré. »
Étudiant, il avait milité, au tout début des années 1960, au sein des Jeunesses étudiantes catholiques (JEC), un mouvement dont Claude Ryan avait été l’une des chevilles ouvrières. « Quand j’étais étudiant, dira Jean-Claude Leclerc, Ryan était déjà une légende. »
À 27 ans, après avoir collaboré à une enquête pour un journal régional, il était entré au Devoir au printemps 1967, à titre de reporter aux affaires municipales.
Bernard Descôteaux, directeur du quotidien de 1999 à 2016, rappelle que Jean-Claude Leclerc s’occupait en particulier au Devoir des questions municipales et urbaines. « M. Ryan était en froid, pour ne pas dire plus, avec l’administration du maire Drapeau pour des questions d’éthique. » Un téléviseur avait été envoyé en cadeau par la police de Montréal au Devoir, ce que le journal avait vivement dénoncé. « Cela laissait beaucoup de place à la critique municipale. »
La signature de Leclerc apparaît en page éditoriale de façon régulière à compter de 1970. Après le départ de Claude Ryan pour la direction du Parti libéral, la signature de Leclerc demeure bien présente sous la direction de Jean-Louis Roy, puis de Benoît Lauzière. Cependant, Jean-Claude Leclerc quitte le journal à l’automne 1990, au moment où Lise Bissonnette entreprend de le restructurer, après s’être retrouvé quelque temps auparavant dans une situation tumultueuse. Il part enseigner le métier de journaliste à la Faculté de l’éducation permanente de l’Université de Montréal. Il reviendra au Devoir quelques années plus tard, cette fois à titre de chroniqueur. Il a aussi collaboré à plusieurs autres imprimés, dont le quotidien The Gazette, à titre de columnist indépendant de 1991 à 1995.
L’ouverture au monde
La pensée de Jean-Claude Leclerc s’attache à une tradition catholique qui a longtemps irrigué Le Devoir. Jusqu’en 2016, Jean-Claude Leclerc tenait d’ailleurs la chronique « Éthique et religions » dans les pages du quotidien fondé par Henri Bourassa. Jusqu’au printemps 2020, ses lecteurs le suivirent par ailleurs dans les pages de Présence, un magazine d’informations religieuses. Il avait aussi collaboré par le passé à RND (Revue Notre-Dame), un imprimé tenu par les Pères missionnaires du Sacré-Coeur et offert par la Fédération des Caisses Desjardins.
Loin d’être un doctrinaire, Leclerc donnait une forte pente sociale à ses idées, se méfiant des dogmes et du manque d’ouverture qui risquaient de conduire la société à une évolution jugée à son sens néfaste. Il pourfendait par exemple l’acharnement des confessions religieuses contre l’homosexualité, une injustice qu’il jugeait « particulièrement odieuse ». Sa fille, Catherine Leclerc, note qu’il s’est impliqué, durant des années, auprès d’organismes comme Centraide ou encore en faveur des réfugiés.
Lors de ses passages réguliers à la rédaction du Devoir, ce vieux routier aimait discuter avec les uns et les autres de questions d’actualité, les éclairant volontiers à sa manière, le plus souvent par l’entremise du récit de moments tirés de son expérience professionnelle.
Après des études à l’Université Laval, il avait obtenu un diplôme en droit de l’Université de Montréal. Jean-Claude Leclerc avait d’abord fréquenté, jusqu’en 1957, le séminaire Saint-Joseph à Trois-Rivières. Diplômé de la même institution, le directeur actuel du Devoir, Brian Myles, estime que Jean-Claude Leclerc avait une capacité d’analyse remarquable. « Comme jeune journaliste, quand je fréquentais le centre de documentation, j’étais frappé, dans tous les dossiers, de voir des textes de Jean-Claude Leclerc. Ça m’avait frappé, la quantité d’éditoriaux qu’il avait produits au fil des ans, avec toujours la même finesse d’analyse et une simplicité dans le choix des mots. C’était, oui, un analyste remarquable capable de s’intéresser à toutes sortes de questions. »