L’IA sème le doute dans le milieu de l’art

Illustration: AI Comic Books Le Bureau du droit d’auteur des États-Unis vient d’entamer l’examen d’une demande de révision d’une décision ayant accordé des droits d’auteur pour la bande dessinée Zarya of the Dawn créée par l’IA.

L’année achève et il suffit d’un grain de sapience pour savoir que la palme de la plus importante création socioculturelle de 2022 revient à l’intelligence artificielle (IA).

ChatGPT3, logiciel capable de tenir une conversation quasi humaine dans plusieurs langues naturelles et de générer des textes très bien articulés, affole le milieu de l’éducation depuis quelques semaines. Les trois millions d’utilisateurs qui l’explorent gratuitement n’en sont pas moins émerveillés.

AlphaCode ébranle tout autant le monde des programmeurs en démontrant sa supériorité dans des concours de codage informatique en ligne : ce programme écrit des programmes et surpasse les programmeurs humains. Cette IA pourrait se modifier elle-même. D’où les craintes à la Terminator.

Les historiens et les sociologues établissent que plusieurs étapes de la révolution industrielle ont façonné l’Occident et le monde depuis deux siècles. La première a été portée par la machine à vapeur ; la seconde par l’électricité ; la troisième, commencée dans la deuxième moitié du XXe siècle, s’appuie sur l’informatique à laquelle l’intelligence artificielle est liée. De la santé à la justice en passant par la défense, tous les secteurs d’activité subissent déjà les perturbations de cette mirobolante mutation. L’art n’y échappe pas non plus.

« Des possibilités infinies »

Les ordinateurs peuvent composer de la musique, peintre des tableaux, écrire des romans ou des poèmes, recréer des voix d’autrefois, dialoguer avec les morts, toujours en procédant par combinaison de style appris. Les programmes numériques offrent « des possibilités infinies pour explorer de nouvelles formes d’expression artistique », comme le dit ChatGPT3 lui-même de cette technologie (voir l’encadré).

De nombreux artistes utilisent ces nouveaux outils numériques, et les oeuvres des robots artistes intéressent maintenant les collectionneurs. Le portrait Edmond de Belamy produit par les machines du collectif Obvious a lancé le bal en 2018 en trouvant preneur pour plus d’un demi-million de dollars. En août dernier, l’oeuvre Théâtre d’opéra spatial, créée avec l’IA par l’artiste Jason Allen, a remporté un concours d’art aux États-Unis. M. Allen a résumé en entrevue l’implication de cette victoire par une formule choc : « L’Art est mort. C’est fini. L’IA a gagné. Les humains ont perdu. »

Ce n’est pas de l’art si vous ne faites que pousser quelques boutons...

 

Au musée Dali de Floride, un programme crée de grandes tapisseries interactives numériques illustrant les rêves décrits par les visiteurs, selon la technique text-to-image de Meta, maison mère de Facebook. L’IA, baptisée DALL-E en l’honneur du peintre surréaliste, présente ses oeuvres dans le cadre de l’exposition The Shape of Dreams qui se poursuit jusqu’en avril. DALL-E est déjà utilisée en ligne par au moins un million de personnes, tout comme le concurrent Stable Diffusion.

En février prochain, un premier festival organisé à New York va présenter et récompenser des films d’une à dix minutes tournés par l’intelligence artificielle. Pour être sélectionnés par l’AI International Film Festival, les courts métrages doivent avoir été générés ou au moins montés par des programmes.

Même l’histoire de l’art utilise les nouveaux outils. Une société suisse a développé le programme Art Recognition qui facilite l’authentification de toiles ou de dessins d’artistes. La technologie a permis cet automne d’authentifier un tableau de Renoir (avec 80,58 % de probabilité), et auparavant de reconnaître un faux Max Pechstein créé par le faussaire Wolfgang Beltracchi.

« Sur la nature de l’art »

Les réactions positives et négatives suscitées dans les milieux culturels et artistiques témoignent de l’ampleur de la révolution en marche. L’art généré par l’IA « soulève des questions sur la nature de l’art et de la créativité, et sur la place de l’homme dans le processus de création artistique », comme le résume encore ChatGPT3.

« Il n’existe pas une telle chose que l’art de l’intelligence artificielle », a écrit l’auteur et critique littéraire Walter Kirn dans un essai paru en septembre. Il a ajouté en entrevue que « ce n’est pas de l’art si vous ne faites que pousser quelques boutons… »

La retouche numérique et l’altération délibérée d’images numériques énervent royalement certains portraitistes. Lensa AI, programme né en 2018 mais popularisé cette année seulement, permet de générer des portraits à l’infini dans une grande variété de styles à partir de quelques images fournies. Pour environ 10 $, le programme fournit une cinquantaine d’avatars. Les réseaux sociaux en ont fait l’application la plus populaire le mois dernier. Le ballet de San Francisco l’utilise pour les images promotionnelles de son Casse-noisettes des Fêtes.

Des artistes (humains) ont commencé à insérer sur la plateforme ArtStation des images protestant contre l’art généré par IA (« No AI Art »), à un point tel que la compagnie a commencé à les retirer de son site. ArtStation est le plus grand portfolio en ligne des artistes du jeu vidéo, du cinéma et de la bande dessinée, et de plus en plus d’entre eux publient des images générées par l’intelligence artificielle. Les puristes considèrent que cet outil pastiche illégalement et copie immoralement les oeuvres humaines.

In fine, la question devra être tranchée devant les tribunaux. Aux États-Unis, un jugement a établi dès 1972 que les droits d’auteur s’appliquent aux oeuvres, mais pas aux styles. Un tribunal australien a reproduit le même point de vue 30 ans plus tard. Le Bureau du droit d’auteur des États-Unis vient d’entamer l’examen d’une demande de révision d’une décision ayant accordé des droits d’auteur pour la bande dessinée Zarya of the Dawn créée par l’IA.

L’art généré par IA expliqué par celle-ci

La question a été posée par Le Devoir à ChatGPT3 : « Qu’est-ce que l’art généré par l’intelligence artificielle ? » Voici la réponse intégrale fournie par le programme :

« L’art généré par l’intelligence artificielle (AI) est une forme d’art créée par des algorithmes et des programmes informatiques conçus pour produire des oeuvres d’art de manière autonome ou semi-autonome. Cela peut inclure des images, de la musique, du cinéma, de la danse, de la poésie et d’autres formes d’expression artistique.

Les algorithmes d’IA peuvent être utilisés pour générer de l’art de différentes manières. Par exemple, ils peuvent être utilisés pour analyser et reproduire des styles artistiques existants, pour créer de nouvelles oeuvres en utilisant des techniques de synthèse de contenu, ou pour créer des oeuvres en réponse à des paramètres spécifiques définis par l’utilisateur.

L’art généré par l’IA peut être controversé, car il soulève des questions sur la nature de l’art et de la créativité, et sur la place de l’homme dans le processus de création artistique. Cependant, il peut également offrir de nouvelles perspectives sur l’art et la créativité, et offrir des possibilités infinies pour explorer de nouvelles formes d’expression artistique. »



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