Des «bibliothécaires volants» à la Grande Bibliothèque de BAnQ?

Les comptoirs d’information vont-ils disparaître de la Grande Bibliothèque (GB) ? Ces petits bureaux, à chaque étage, où siège un bibliothécaire toujours prêt à répondre aux questions des lecteurs, sont remis en jeu. La Grande Bibliothèque se livre actuellement à une réflexion sur le « renouvellement du service d’information et de référence. » Recul ? Progrès ? Regards sur ce service aux usagers.
« Tout est sur la table, et la réflexion se poursuit afin de bonifier ce service [d’information et de référence] de telle sorte qu’il y ait encore plus d’interactions entre les usagers en quête d’information et le personnel », a indiqué au Devoir Claire-Hélène Lengellé, responsable des relations avec les médias de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), qui gère la GB.
Selon les informations que Le Devoir a obtenues, un des scénarios envisagés est de faire disparaître les comptoirs d’information. Des commis, repérables à leur veste comme le sont les signaleurs routiers ou les employés des librairies Renaud-Bray, navigueraient dans les étages afin de demander aux usagers s’ils ont besoin d’aide.
Les bibliothécaires, qui occupent actuellement les comptoirs d’information, seraient relégués dans les bureaux, où ils resteraient disponibles sur appel. « En tout temps, des bibliothécaires continueront d’être disponibles sur place », avance Mme Lengellé.
Les questions posées à la Grande Bibliothèque, en chiffres
La pandémie a un impact tangible sur le nombre de visites faites à la Grande Bibliothèque (GB), rue Berri à Montréal, ainsi que sur les demandes que les visiteurs font aux bibliothécaires.
Du 1er avril au 30 novembre, la GB comptait :
En 2019 : 1 444 969 visites
En 2022 : 761 229 visites, soit 53 % des passages de 2019
Les demandes de référence de la part des usagers sur trois mois (de septembre à novembre)
En 2022 : 21 385
En 2019 : 38 557
Les demandes d’information, sur trois mois (de septembre à novembre)
En 2022 : 51 142
En 2019 : 76 824
« Nous étudions effectivement la possibilité d’offrir aux usagers de prendre un rendez-vous avec un bibliothécaire. Cette nouvelle offre de service demeure à l’étude pour l’instant, mais ne remplacerait pas l’accès aux bibliothécaires sur place. »
« Des modifications à l’aménagement pourraient être apportées, mais le plan n’est pas arrêté et les discussions se poursuivent. Nous nous inspirerons d’expériences tentées pendant la pandémie », poursuit Mme Lengellé. « Les actions seront déployées au courant de 2023. Quoi qu’il en soit, ces améliorations n’auraient pas d’incidence sur les heures travaillées du personnel déjà en place. »
Ce qui inquiète un peu le syndicat des professionnels de BAnQ. « Durant la pandémie, il n’y avait plus de bibliothécaires aux comptoirs. Ils étaient sur appel, dans les bureaux. Et pendant ce temps, BAnQ a arrêté de remplacer les bibliothécaires absents », a indiqué Mathieu Mercier, conseiller en relations du travail et en négociation au Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec. Ainsi, le personnel déjà en place conservait ses heures, mais le nombre de bibliothécaires disponibles était moindre.
Bibliothécaires de terrain
« Il est prématuré de prévoir une diminution du nombre de bibliothécaires », assure M. Mercier, qui signale dans la foulée qu’il y « a maintenant une belle relation patronale-syndicale à BAnQ. C’est le jour et la nuit. » Mais il reste une inquiétude quant à la qualité du service de la nouvelle mouture.
L’expérience, continue M. Mercier, n’est pas du tout la même pour un usager s’il se retrouve tout de suite devant le professionnel ou s’il doit demander la venue de celui-ci et l’attendre. Et les bibliothécaires sont les professionnels des recommandations et des suggestions, qui n’entrent pas dans les tâches des commis.
Il est prématuré de prévoir une diminution du nombre de bibliothécaires.
« Les bibliothécaires doivent être plus accessibles, plus visibles, et non pas l’être moins », estime aussi Marie D. Martel, professeure à l’École de bibliothéconomie de l’Université de Montréal.
« Qu’ils le soient en mode “référence nomade”, indique-t-elle (où le bibliothécaire se déplace pour rejoindre les usagers) ; assis, mais pas derrière un équipement qui ressemble à un mur ; ou derrière un aménagement de type comptoir où ils sont “assis-debout”, ce qui donne l’impression qu’ils sont plus accessibles et que l’on risque moins de les déranger. »
Les bouts de chandelle
« Les petites questions des gens sont souvent de grandes occasions de faire de la littératie de l’information ou numérique, poursuit Mme Martel. Or, les commis ne sont pas formés pour ça. »
De plus, rappelle de son côté Mathieu Mercier, le bibliothécaire dégage de son interrelation avec les visiteurs les besoins de ceux-ci, ce qui lui permet de développer sa collection de manière plus ciblée sur les usages et désirs. Être moins sur le terrain, pour le bibliothécaire, c’est être coupé de ce savoir.
« Quelle est la vision de BAnQ sur la production des bibliothécaires au comptoir ? » C’est la question qui est en jeu actuellement, résume le syndicaliste. Pour la réponse, M. Mercier se « tourne vers le Conseil du trésor et le gouvernement. La culture reste sous-financée. Ce sous-financement pousse BAnQ à chercher des solutions d’économies de bouts de chandelle, qui peuvent diminuer la qualité du service et du mandat. »
Or, cette Grande Bibliothèque devait, quand elle a été fondée, et devrait, selon les spécialistes de la bibliothéconomie, être le navire amiral de toutes les bibliothèques du Québec. Ce qui n’est pas le cas. « Le sous-financement de BAnQ fait qu’il y a un taux de roulement du personnel spécialisé vraiment grand vers les bibliothèques municipales », où les conditions salariales sont meilleures.