Les artistes craignent d’être remplacés par l’IA

Les nouvelles applications d’intelligence artificielle dernier cri ont fait le bonheur des internautes au cours des derniers jours, mais elles amusent beaucoup moins les artistes. Dans les milieux du jeu vidéo, du cinéma d’animation, de l’illustration, ils sont nombreux à craindre d’être remplacés par cette technologie prometteuse d’ici quelques années.

À 41 ans, Jonathan Jourdenais a enfin l’impression qu’il commence à peine à s’imposer dans le milieu de l’animation à Montréal. Le fruit de longues années à se perfectionner, à galérer de contrat en contrat. C’est dire la frustration qui l’habite quand il constate qu’un néophyte peut dorénavant s’improviser artiste en quelques heures grâce à des logiciels d’intelligence artificielle, comme Midjourney et DALL-E.

« C’est comme si je n’étais pas capable de courir, et que tout d’un coup, on sortait des jambes bioniques qui me permettraient de courir un marathon plus rapidement encore que des gens qui se sont entraînés pour ça toute leur vie. Je ne l’aurais pas mérité », illustre Jonathan Jourdenais. Celui qui gagne sa vie avec l’art numérique considère aujourd’hui que la technologie va trop loin, qu’un point de non-retour a été atteint.

Photo: DALL-E « Un robot qui peint un tableau » à la manière de Basquiat

Certes, l’intelligence artificielle n’a pas encore la même précision que le travail d’un vrai artiste professionnel, surtout quand elle est entre les mains de quidams. Mais ça ne saurait tarder, craint-il. « J’ai entendu parler de Midjourney pour la première fois cet été, se souvient Jonathan Jourdenais. On écrivait quelques mots, et le logiciel nous sortait une peinture. On trouvait ça drôle tellement c’était naïf. On est seulement quelques mois plus tard, et c’est devenu très réaliste. Monsieur et madame Tout-le-Monde ne voient pas la différence, et même moi, je me fais prendre. J’ai appris récemment qu’un compte Instagram que je suivais était généré par l’intelligence artificielle. »

Une question de droits aussi

Artiste 2D dans l’industrie du jeu vidéo, Kristèle Pelland est elle aussi déroutée par la vitesse fulgurante à laquelle l’intelligence artificielle s’est améliorée. Inquiète, elle en appelle à une réflexion collective, même si elle sait « qu’une fois que la pâte à dents est sortie, on ne peut plus la remettre dans le tube ».

« Ma profession va changer, c’est certain, c’est inévitable. Mais je ne pense pas que l’intelligence artificielle va complètement remplacer l’humain. La créativité et l’imagination, ça ne se programme pas », ajoute-t-elle, plus optimiste que Jonathan Jourdenais.

Ses craintes sont surtout d’ordre légal. Quid des droits d’auteur avec l’intelligence artificielle, s’interroge Kristèle Pelland : « Les compagnies d’intelligence artificielle vont dire que leur logiciel apprend. Mais les logiciels n’apprennent pas. Ils puisent dans la data, dans des bases de données d’oeuvres qui existent déjà, et régurgitent tout ça pour en créer de nouvelles. Et les oeuvres qui ont inspiré l’intelligence artificielle ne sont pas nécessairement libres de droits. »

Photo: DALL-E « Un robot qui peint un tableau » à la manière de Picasso

Même préoccupation du côté d’Illustration Québec quant à la propriété intellectuelle. « On sait que sur certaines plateformes, on peut demander, par exemple, de dessiner un éléphant rose dans le style graphique d’Élise Gravel [prolifique illustratrice québécoise]. Ça, c’est inquiétant. Si l’intelligence artificielle est capable d’analyser le style d’un artiste et de produire une fausse image, ça soulève certaines questions », souligne le directeur général de cette association, Jean-Philippe Lortie.

Déjà vu

Cela dit, il ne pense pas que c’est demain la veille que le milieu de l’édition au Québec remplacera les illustrateurs par l’intelligence artificielle. À court terme, Jean-Philippe Lortie s’inquiète davantage pour les emplois dans l’industrie du jeu vidéo.

À l’École des arts numériques, de l’animation et du design (NAD), on ne sait d’ailleurs pas encore sur quel pied danser. D’un côté, on craint des pertes d’emploi dans les secteurs du jeu vidéo et de l’animation, là où travaillent la plupart des diplômés. De l’autre, on voit l’intelligence artificielle comme une chance, puisqu’elle a le mérite de simplifier le travail à l’étape de la conception, ce qui laisse plus de temps ensuite pour embellir ce qu’a déjà produit l’intelligence artificielle.

« C’est ce qu’on disait aussi, par contre, à l’époque où le numérique a remplacé la pellicule sur les plateaux de tournage. On disait que, comme ça coûtait moins cher, on aurait plus de temps pour essayer des affaires en postproduction. Mais finalement, on s’est juste mis à tourner plus rapidement », rappelle Benoît Melançon, professeur à l’École NAD.

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