«La pluralité religieuse au Québec»: la religion, un tabou québécois?

Au Québec, le religieux est un sujet tabou. Et il n’est pas rare que des citoyens cachent leur croyance ou leur fréquentation de la religion aux membres de leur propre famille. C’est l’une des conclusions de l’enquête menée par une équipe dirigée par l’anthropologue Deirdre Meintel, à travers les régions du Québec, dont Montréal.
C’est aussi ce qu’on découvre dans l’essai La pluralité religieuse au Québec, publié au terme de dix ans de recherches sur le terrain, et dirigé par Deirdre Meintel.
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Tous les textes de notre série «Coup d'essai»En fait, les conclusions de l’enquête démontent certains mythes persistants dans la société québécoise contemporaine, qui attribuent parfois systématiquement la pratique des cultes religieux aux communautés immigrantes, et un agnosticisme persistant à la communauté québécoise d’accueil.
De façon générale, par ailleurs, on signale que de plus en plus de Québécois se déclarent sans religion. Et cette tendance s’observerait particulièrement chez les nouveaux arrivants.
« Il y a des tendances qui s’accentuent avec le temps, dit Deirdre Meintel en entrevue. Par exemple, le nombre de gens qui se disent sans affiliation religieuse ou sans religion, qui ne s’identifient pas à une tradition, est en croissance. »
Une grande diversité en région
La recherche, qui rassemble plusieurs enquêtes de terrain, s’intéresse autant à Montréal qu’aux autres régions du Québec. « Ce qui complique les choses », poursuit Mme Meintel. « Cela se déroule différemment dans les régions », dit-elle. On ne pratique pas de la même façon à Saguenay, à Rawdon ou à Montréal, par exemple.
« Nous avons constaté que chacune de ces régions présentait un paysage religieux distinctif, où prédominent des religions et des spiritualités différentes, et avait sa propre histoire sur le plan du pluralisme religieux », lit-on dans La pluralité religieuse au Québec.
« Dans le religieux, on inclut tout ce qu’on appelle les spiritualités », précise Deirdre Meintel. On s’y intéresse autant au christianisme ou à l’islam qu’au druidisme ou au néochamanisme par exemple.
« Malgré le déclin de la fréquentation des lieux de culte chez les catholiques, les oeuvres caritatives de l’Église sont toujours bien présentes et actives. Les lieux de culte, tout particulièrement évangéliques et islamiques, continuent de se multiplier », lit-on.
Une particularité québécoise
Dans ce contexte, le Québec présente une configuration particulière, du fait de son histoire récente, notamment du passage de ce qu’on appelle aujourd’hui la « Grande Noirceur », marquée par la prépondérance de l’Église catholique, à la Révolution tranquille, qui a pris son envol dans les années 1960.
« Cette combinaison entre tabou, vitalité et invisibilité du religieux nous semble être une caractéristique spécifique des comportements religieux au Québec, directement liée à la longue et complexe histoire que la province entretient avec l’Église catholique et plus largement avec les autorités religieuses », écrivent Deirdre Meintel et Géraldine Mossière.
En cours d’enquête, les chercheurs ont relevé une très grande discrétion des Québécois quant à leurs croyances ou leurs pratiques religieuses.
« Presque tout le temps, les gens disaient qu’ils parlaient peu ou qu’ils ne parlaient pas du tout de leurs croyances ou de leurs fréquentations à leurs proches, pour ne pas faire de chicanes avec leur famille ou avec leur conjoint. Nous avons constaté que les gens sont d’une très grande discrétion par peur de provoquer soit des chicanes, soit d’être tournés en ridicule ou de scandaliser. Certains professionnels, qui fréquentent des groupes marginaux moins connus, ont peur de scandaliser leurs clients », dit-elle.
Deirdre Meintel y voit « une difficulté d’assumer le passé du Québec ».
Un outil d’intégration
Par ailleurs, les auteurs relèvent que les organismes religieux ne sont pas un obstacle à l’intégration à la société d’accueil pour les immigrants, mais plutôt un outil d’intégration à cette société. En effet, nombreux sont les services offerts aux nouveaux arrivants par les organismes communautaires, en collaboration avec des groupes religieux.
« Plus généralement, les leaders religieux jouent un rôle de médiation entre les nouveaux arrivants et les institutions gouvernementales, municipales et autres, en offrant leur aide dans les procédures administratives, en prodiguant des conseils juridiques et en familiarisant les nouveaux arrivants avec les normes de la société d’accueil. Ils agissent également comme intermédiaires culturels pour aider les fidèles immigrants à s’intégrer tout en gardant leurs normes religieuses. Le groupe et son lieu de culte constituent un premier espace de sociabilité pour les immigrants récents qui leur permet d’éviter l’isolement et de recréer un réseau d’entraide et d’appartenance, surtout lorsque les liens avec le pays d’origine sont affaiblis ou rompus », constatent Claude Gélinas, Deirdre Meintel et Daniela Moisa.
En entrevue, Deirdre Meintel évoque aussi de « grandes collaborations interreligieuses », unissant parfois les représentants « d’une paroisse catholique, d’une mosquée, et d’une synagogue » dans l’accueil de certains groupes d’immigrants en difficulté.
Elle signale aussi le rôle de groupes religieux dans l’accueil de réfugiés ou d’immigrants mineurs non accompagnés. « Nos intervenants sur le terrain ont vu par exemple des mineurs non accompagnés qui arrivaient du Congo. Souvent, les jeunes demandaient à voir un pasteur évangélique ou un prêtre catholique », dit-elle.
Les groupes religieux, dit-elle, font partie de la société d’accueil. « En ce sens, leur rôle est peut-être sous-estimé. »