Jacques Brault, une vie en prose

Le poète Jacques Brault, ici photographié en 2011
Photo: Daniele Francis Le poète Jacques Brault, ici photographié en 2011

Jacques Brault, le poète de l’intime, l’esprit indépendant, le géant de l’ombre derrière Gaston Miron ou Saint-Denys Garneau, est décédé mardi dernier des suites d’une longue maladie, à 89 ans.

Fidèle jusqu’au bout à la littérature, « marginal éclairé », comme l’écrivait Christian Desmeules dans les pages du Devoir en 2005, il est resté extrêmement discret dans le grand public, bien que son oeuvre ait été célébrée dans le milieu littéraire dès la parution de son premier recueil, Mémoire, en 1965.

En 1996, lorsqu’on a remis à Jacques Brault l’important prix de littérature Gilles-Corbeil, le critique littéraire Gilles Marcotte disait lire en lui « toutes les questions qui ont traversé le Québec depuis plus d’un quart de siècle », « mais sorties d’une actualité aveuglante ».

Car le poète a toujours fui l’éclat des projecteurs. Son amour de la littérature, il l’a cultivé jour après jour comme on cultive un jardin, et l’a partagé entre autres avec ses étudiants de l’Université de Montréal, où il enseignait la littérature et les études médiévales.

« Quand le temps sera venu / je ne sais par quelle aventure / enfermez-moi dans un livre / pas cher et sans importance / n’oubliez pas mes ailes de libellule mélancolique ». C’est par cette citation de Jacques Brault que Frédérique Bernier, autrice d’un livre sur le pendant essayistique de l’oeuvre du poète, Les essais de Jacques Brault, de seuils en effacements, a marqué sa disparition sur sa page Facebook.

« Cela faisait partie de sa poétique d’éviter les grandes envolées et de rester au plus proche de la prose », dit Mme Bernier en entrevue.

« Il est associé à des noms plus connus que le sien, mais il a toujours été discret et en retrait », dit-elle, précisant que Jacques Brault aurait convaincu Gaston Miron de publier L’homme rapaillé, comme il a établi l’édition critique des oeuvres de Saint-Denys Garneau.

« Il a écrit un magnifique texte sur Gaston Miron, qu’il a contribué à faire connaître, précise Mme Bernier. Et nombre de jeunes poètes travaillaient encore aujourd’hui dans son sillage. »

Son propre chemin

 

Mêlant poésie, essai et prose, Jacques Brault a frayé son propre chemin, unique et autonome au royaume des lettres. Son premier récit, Mémoire, s’inscrivait dans la littérature du pays, souligne Frédérique Bernier. « Son premier grand recueil, Mémoire, s’inscrit dans le sillage de la poésie du pays. Mais il a tracé sa propre voie, qui est une voie plus obscure, d’en dessous, où il séjourne auprès des ombres, une voix beaucoup moins flamboyante que celle de Gaston Miron. »

L’homme de lettres prend ses distances du mouvement nationaliste durant la crise d’Octobre, dénonçant la violence qui secoue alors le Québec.

« Quand sont arrivés les événements d’octobre 1970, il était choqué, raconte la fille du poète, Emmanuelle Brault, qui a signé en 2019 un ouvrage sur l’oeuvre de son père, Dans les pas de nulle part. Parcours de l’oeuvre de Jacques Brault. Il était contre la violence. Il a toujours été pacifiste. »

Le douloureux souvenir de son frère tombé sous les balles de la Deuxième Guerre mondiale n’y est sans doute pas étranger. Cette mort violente le happe alors qu’il n’a que dix ans et lui inspirera le long poème Suite fraternelle. « Ils disent que tu es mort pour l’Honneur ils disent et / flattent leur bedaine flasque ils disent que tu es mort / pour la Paix et sucent leur cigare long / comme un fusil ». Il lui fallut 20 ans pour écrire ces vers.

Plusieurs lui ont tout de même reproché cette rupture par rapport au mouvement nationaliste. À partir de ce moment, dit sa fille, Jacques Brault ne se voit plus comme un « écrivain engagé politiquement ». « Il s’est concentré sur la poésie, qui, pour lui, était plus qu’un genre littéraire, c’était un mode de vie. »

Ce chemin, il l’a tracé seul, mais en a livré les secrets dans ses nombreux recueils.

Dans Au fond du jardin, Jacques Brault célèbre ainsi la littérature intimiste. « Il a effacé les noms des auteurs, de sorte que son livre devient comme une énigme. C’était assez caractéristique de sa manière », dit Frédérique Bernier. Pour lui, ajoute-t-elle, « c’est dans l’humilité de la parole ordinaire que l’on trouve finalement l’universel et l’anonyme ». Elle conclut : « C’est une oeuvre à la fois d’une grande humilité et d’une grande humanité. »

Aller à l’essentiel

Ce mode de vie, c’était aussi l’attention continue à l’infiniment simple, l’infiniment petit. À mesure que passent les années, la poésie de Jacques Brault devient plus minimaliste.

« Plus le temps avançait, plus ses poèmes étaient courts, poursuit Emmanuelle Brault. Ils pouvaient faire une ligne, cela ne le dérangeait pas. Il a beaucoup aimé les haïkus. […] C’est une évolution pour aller chercher l’essentiel dans moins que rien : une branche, un arbre, un oiseau. » Ce que l’on trouve au bout du chemin.

Dans le roman Agonie, qui lui a valu le Prix du gouverneur général en 1984, Jacques Brault explore le thème de la mort. Un vieil homme laisse sur un banc de parc un carnet rempli de ses écrits. Un jeune homme s’en empare, et l’emporte chez lui pour la nuit. Une démonstration de l'art des poètes de rester vivant.

Avec Jean-Louis Bordeleau

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