Un «éloge du paysagisme» à MUTEK

Jusqu’au dimanche 28 août, Montréal redevient la capitale mondiale des arts numériques et des musiques électroniques de pointe grâce à la 23e édition du festival MUTEK, son exposition virtuelle d’art numérique, son forum, ses conférences et ateliers et, pour plat principal, une affiche garnie de performances musicales et audiovisuelles de la crème de l’avant-garde électronique internationale et locale.
Jeudi soir, le prolifique compositeur Automatisme et la polyvalente artiste du numérique Marilou Lyonnais Archambault créeront un « éloge [numérique] au paysagisme » à la Société des arts technologiques (SAT).
« Tous les deux, on est de grands fans de jazz », précise William Jourdain, alias Automatisme, en parlant de la paire qu’il forme avec Marilou Lyonnais Archambault. « On est deux mélomanes, deux fans d’arts visuels qui ont étudié [le domaine] à l’université » et qui, jeudi, uniront à nouveau leurs forces et leurs idées pour, comme le résume sa collègue, étudier notre rapport au paysage, « William sur le plan sonore, et moi de manière plus visuelle ».
Les deux artistes s’intéressent « aux paysages dématérialisés, à l’idée de la nature, à la tension existant entre la machine et la nature, et donc aux paysages numériques, détaille Marilou. Ce qu’on prépare pour jeudi, c’est une performance où, pour ma part, je recyclerai des images utilisées lors de nos précédentes collaborations, en y ajoutant du matériel original, mais toujours sur le thème des paysages. Le tout présenté via l’abstraction, à mi-chemin entre le réel et le virtuel ».
S’interroger sur l’empreinte écologique
Diplômée en histoire de l’art et en éducation des arts visuels et médiatiques à l’UQAM, Marilou Lyonnais Archambault porte également un regard critique sur nos vies numériques — « critique, mais paradoxal » en ce qui a trait à la nature, relève-t-elle. « L’échantillonnage des images [de paysages et de nature] que je retravaille provient toujours du Web, par exemple à partir d’archives numérisées, mais en raison de cette démarche basée sur le Web, je fais partie du problème puisque je dépense des ressources, de l’énergie, pour créer. C’est très paradoxal : je critique notre condition numérique actuelle, mais je laisse moi-même une empreinte écologique en le faisant. »
Marilou et William ont échangé sur leurs concepts et pratiques artistiques respectives pendant quelques années avant d’entamer une première collaboration ; en 2020, elle a conçu la pochette de l’album Alter- Vol. 2 que ce dernier a enregistré avec le vétéran Pheek, un duo baptisé Viatorism. En mai dernier, William Jourdain lançait à quelques jours d’intervalle deux albums pour lesquels Marilou a imaginé des images vidéo : l’aride et puissant Statique édité par la mythique maison de disques allemande Mille Plateaux, puis l’harmonieux et contemplatif Gap/Void, collaboration avec l’artiste sonore suisse Stefan Paulus, édité par Constellation Records.
Le matériel frais de ces deux albums constituera l’essentiel de la trame sonore de la performance. « Je suis content, MUTEK me donne l’occasion de faire se croiser ces deux albums, très différents. Ce sera un beau défi. » Si les structures rythmiques linéaires d’Automatisme se détaillent sur chacun de ces albums, l’apport du compositeur suisse vient tempérer les sonorités rugueuses et austères auxquelles Jourdain nous soumet sur Statique, un album né dans l’inquiétude et la froideur de l’hiver.
Entre l’abstrait et le concret
« Pour te faire une histoire courte, j’ai eu un fils il y a un an, né avec une malformation cardiaque, confie William. Avant et pendant son opération, je n’ai pas dormi, alors j’ai terminé la production de l’album — en y mettant beaucoup de saturation [dans le son], du grain, du bruit. Il y a une intensité très émotive à cet album, très sec et très cru. »
Marilou enchaîne : « Son album Gap/Void renvoie plutôt aux paysages des Alpes suisses », Paulus ayant contribué à la musique avec ses enregistrements de la nature. « Mes images seront tantôt inspirées par la Boréalie, et par l’idée de vertige. Visuellement, je présenterai plus de paysages naturels qu’urbains », précise l’artiste, qui touche également à la création musicale à travers le duo dub/ambient Saudade qu’elle forme avec la compositrice Nela Paki — un second EP du duo devrait voir le jour en 2023.
« On essaie tous deux [dans nos démarches] de trouver un espace entre l’art concret et abstrait, tente de résumer William. Il y a dans notre travail comme quelque chose qui est dénué de référents, mais en même temps une sublimation du paysage, de sa force, ce qui implique certains référents picturaux. Le mélange de ces deux choses-là me touche, puisque c’est beaucoup ce que je fais en son, en travaillant beaucoup à partir de paysages sonores, d’enregistrement sur le terrain. C’est comme si nos ordinateurs jouaient du jazz, et que nous allions piger des moments de ce qu’il joue ; c’est très complexe, comme la nature l’est. »
À l’affiche de MUTEK
Expérience 1
Le compositeur et DJ équatorien Nicola Cruz s’avère une prise de luxe, ajoutée à la dernière minute à l’affiche du festival — et son concert sera présenté gratuitement, avec ceux de Ramzilla et AGUMA.
23 août, dès 18 h 30, esplanade Tranquille
Nocturne 3
Le vétéran du techno britannique Luke Slater viendra au MTelus avec le matériel de son plus célèbre alias, le projet Planetary Assault Systems. Cora Novoa, Aquarian et Nicolas Bougaïeff complètent l’affiche.
26 août, dès 22 h, MTelus
Play 3
Voilà une proposition qui suscite soudainement la curiosité : le duo indonésien Gabber Modus Operandi, qui réussit une fusion entre chants traditionnels et techno assommant, a collaboré à la création du prochain album de Björk.
27 août, dès 22 h, SAT
Nocturne 4
L’affiche de ce nocturne était déjà riche, avec Koreless, Afriqua, Dauwd et Powder, mais coiffée par la brillante compositrice et DJ britannique Loraine James, le voilà incontournable. James présentera le lendemain le matériel de son projet (plus ambient) Whatever the Weather.
27 août, dès 22 h, MTelus