Le miracle culturel coréen

Toujours plus de K-Pop et de Squid Game. Le nouveau président de la Corée du Sud, Yoon Suk-yeol, élu en mai dernier, a annoncé cet été des investissements massifs pour rendre son pays encore plus « attrayant culturellement ».
Près de 5 milliards de dollars supplémentaires serviront dans les cinq prochaines années à soutenir les secteurs de la production audiovisuelle ou des beaux-arts. L’objectif est d’appuyer 10 000 nouveaux talents. Un grand chantier rénovera et transformera un ancien palais en « Versailles » coréen dans le but d’attirer les touristes par millions.
Le Pays du matin calme se donne ainsi des moyens pour asseoir et accroître son enviable position de minipuissance culturelle dans le monde. La force de cette soft power a été confirmée récemment par le drame dystopique Squid Game, hissé en tête des classements sur le réseau Netflix dans plus de 80 pays.
Ce succès télé prolonge celui du cinéma. La même plateforme internationale diffuse pas moins de 230 longs métrages coréens en ce moment. Faut-il vraiment ajouter la K-Pop ? En 2018, les Bangtan Boys (alias BTS) sont devenus les plus jeunes récipiendaires de l’Ordre du mérite culturel du président en reconnaissance de leur contribution à la diffusion de la culture coréenne dans le monde.
Comment expliquer ce succès ? « Ce n’est pas du tout un succès aléatoire », répond la journaliste et autrice Euny Hong, spécialiste de la culture coréenne. (Voir l’encadré)
« Le gouvernement coréen, en collaboration avec les grandes entreprises du pays, a investi dans la production et la diffusion de la culture depuis plus de 30 ans. Cette alliance a créé un écosystème en misant sur une percée simultanée de plusieurs éléments. Les vidéos de la K-Pop ont par exemple été partagées gratuitement sur YouTube alors que tous les artistes du monde essayaient de retirer leurs clips de la plateforme. La stratégie a été de miser sur la viralité avant les ventes, et elle a réussi. »
Les exportations culturelles du pays rapportent maintenant près de 15 milliards de dollars annuellement. « Les nouveaux investissements annoncés poursuivent la même idée, explique encore Mme Hong. Disons que la première version du plan, la version 1.0, exportait la culture populaire, tandis que la version 2.0 actuelle mise sur la culture, disons, plus élitiste, les arts notamment. »
À l’art élitiste
Séoul devient de plus en plus incontournable sur le marché des arts visuels, avec les foires Frieze et Kiaf ainsi que la Biennale de Busan, tenue en septembre. Le président Yoon Suk-yeol a aussi annoncé qu’il avait l’intention de faire circuler dans le pays la collection de quelque 23 000 oeuvres liée à la compagnie Samsung maintenant sous contrôle étatique. Le palais présidentiel Cheong Wa Dae, aussi appelé la Maison-Bleue, sera transformé pour recevoir des expos dans les prochaines années et un jardin de sculptures dès cet automne.
Mme Hong explique finalement que la stratégie coréenne de développement des industries culturelles et autres, dans le pays comme ailleurs, misera beaucoup sur le métavers. « Très, très, très malheureusement, dit-elle. Le gouvernement et les compagnies se focalisent sur le monde virtuel, y compris pour la culture. Les fonds publics investissent beaucoup pour soutenir la recherche et le développement. Moi-même je suis contre ça. Le métavers, c’est la fin de la civilisation ! On va franchir le seuil où les rêves deviennent plus désirables que la réalité. »
La Cool Corée expliquée par une Américano-Coréenne installée à Paris
Euny Hong a écrit plusieurs livres sur la Corée, dont The Birth of Korean Cool (2014), sous-titré « Comment une nation conquiert le monde grâce à sa culture pop ». L’essai est maintenant traduit en plusieurs langues. Le sujet lui a été fourni alors que la chanson Gangnam Style, de Psy, devenait un succès planétaire, le clip cumulant un milliard de vues en trois mois.
« Gangnam Style n’a pas déclenché la vague coréenne, mais la connaissance ou la prise de conscience de cette vague en Occident », résume l’autrice.
Ce phénomène lié à la popularité de la cuisine, de la mode, de la chanson ou des films de Corée est appelé « hallyu », terme maintenant accepté par le Oxford English Dictionary. Il a d’abord frappé l’Asie avant de s’étendre dans le reste du monde, en Amérique du Sud, au Moyen-Orient, puis aux États-Unis et en Europe, porté par les médias sociaux et la chaîne YouTube pour la K-Pop.
La hallyu réussit en plus dans une langue parlée uniquement dans la péninsule divisée en deux pays. Par contraste, les artistes et les compagnies culturelles québécoises qui percent le plus à l’échelle internationale s’expriment en général en anglais (Céline Dion, Arcade Fire, Denis Villeneuve) ou ne parlent pas (Le Cirque du Soleil, Jean Paul Riopelle).
« La stratégie d’exportation misait d’abord sur l’Asie, par contamination géographique si vous voulez, explique la spécialiste. Or, en Asie, la Corée a toujours été vue comme un pays cool. « Être coréen, parler coréen était donc cool et ça ne posait pas d’obstacle à la diffusion de sa culture là, puis dans le monde. »
Mme Hong était toute désignée pour expliquer cette vague mondiale. Née au New Jersey, elle a déménagé en Corée à l’âge de 12 ans, en 1985. Elle a vécu à Gangnam, quartier maintenant moderne et branché dont parle le chanteur Psy dans son mégatube.
« J’ai vécu la transformation de la Corée d’un pays sous-développé en un des pays les plus riches du monde, résume-t-elle. À l’époque, un tiers des maisons n’avait pas de plomberie. »
La jeune adulte est revenue aux États-Unis pour des études en philosophie à l’Université Yale, où elle a lancé une publication humoristique sur le campus (Rumpus Magazine). Elle est ensuite devenue journaliste. Elle a été la première critique télé du Financial Times. Mme Hong, convertie au judaïsme, vit à Paris où elle a été jointe.
« Je ne me suis jamais vraiment sentie chez-moi, ni aux États-Unis, ni en Corée, explique-t-elle en français. Je ne suis chez-moi nulle part. Le seul endroit où je me sens confortable, c’est en France, honnêtement. Pour moi, c’était un rêve de jeunesse de m’installer à Paris. Plein de gens ont le même rêve et sont très, très, très déçus. Ils souffrent du syndrome de Paris. Moi, la société française me convient parce qu’elle est à mi-chemin entre les États-Unis, un peu trop décontractés, et la Corée, très rigide. »