La gestion et la passion de Gaston Bellemare

Prenant prétexte de nouvelles nominations à l’Ordre des arts et des lettres du Québec, Le Devoir vous invite dans l’imaginaire d’artistes dont le travail exemplaire fait rayonner la culture.
« Je suis gestionnaire d’organismes culturels. J’ai toujours été bénévole. » Éditeur, animateur culturel, administrateur, Gaston Bellemare se présente volontiers comme un être pragmatique en quête d’efficacité, tout en affirmant être à l’écoute de ce que ses émotions les plus profondes, cultivées par son amour de la poésie, l’invitent à penser.
« Quand je m’occupais des Écrits des Forges, j’étais conscient que les poètes sont les écrivains les plus mal payés. Je donnais 50 % des droits d’auteur tout de suite, au lancement. Un à-valoir définitif ! »
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Le reste de la série «Passion création»L’édition, il s’y est lancé avec Gatien Lapointe, en 1970. Il n’était encore qu’un étudiant. « Ode au Saint-Laurent de Gatien Lapointe, j’avais lu ça. J’avais été émerveillé. Les Écrits des Forges, la maison d’édition, c’est une initiative qui est venue de l’université. »
À l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), où il est associé à la direction de la maison d’édition, Bellemare se prend à rêver de diffuser de plus en plus de poésie québécoise. Les Écrits des Forges finissent par quitter leur nid universitaire pour voler de leurs propres ailes. « Les livres, j’en donnais autour de moi. C’est tellement important, les livres. Ça l’a toujours été. »
À l’UQTR, Gaston Bellemare agit comme administrateur, du côté des arts et des sciences humaines, au début des années 1970, avant de devenir responsable de la coordination des études de premier cycle. Entre 1974 et 1980, il veille aussi sur l’École internationale de français.
Le temps de lire
« Mon père était maître de poste à Saint-Étienne-des-Grès. Petit, j’avais beaucoup de temps pour lire. C’était mon activité principale. » Étudiant, il sera pensionnaire à Terrebonne. Il sera aussi sur les bancs du séminaire à Shawinigan. Puis, ce sera l’université le jour et musicien le soir.
« J’ai été musicien de 1962 à 1977. Je travaillais au Manoir des Vieilles Forges. Un genre de piano-bar. J’y ai appris à être à l’écoute, à chercher l’émotion dans le visage des autres. C’est ce que j’ai voulu faire, au fond, pour le reste de ma vie, par d’autres moyens : chercher l’émotion, la susciter. »
Gaston Bellemare a été la tête du Festival international de la poésie de Trois-Rivières. Il l’est encore. « Partout, les festivals de poésie, ce sont des événements de poètes avec peut-être un public. Nous, c’est le contraire. Nous avons fait un festival pour le monde, qui est présenté avec des poètes. Nous avons choisi de toutes petites salles. Il fallait que le poète puisse être vu et entendu. Qu’on sente l’émotion. »
Se voit-il lui-même comme un poète, comme un écrivain ? « J’ai écrit quelques poèmes… Mais je ne suis pas un poète. Je suis juste un administrateur. Je prends des décisions… J’ai voulu qu’on parle de littérature, de poésie. Quand on parle de culture, au Québec, il est question de chanson, de cinéma, de théâtre. Quelquefois des musiciens. Rarement des écrivains, à de très rares exceptions, comme Michel Tremblay. Les gens vivent l’émotion à travers la musique, la chanson. Ils sont encouragés en ce sens-là. As-tu déjà entendu un ministre de la Culture, au Québec, parler de tel ou tel poème, à part peut-être ceux de Nelligan ? C’est du jamais vu… D’ailleurs, le premier ministre du Québec parle toujours plus de hockey dans une année que de culture. Ça touche plus les gens que de parler de Gaston Miron, faut croire. Surtout si on n’en parle pas ! »
Partager l’émotion littéraire
Le Festival international de la poésie n’a cessé de grandir, observe Bellemare. « Nous avons eu 79 000 entrées en 2019. Des gens viennent désormais à Trois-Rivières pour lire des poèmes qui sont disséminés partout dans la ville. »
La formule du festival s’est développée au fil du temps. « Au début, on présentait du jazz et de la poésie. Puis du cinéma et de la poésie. On a organisé des lectures, dans des restaurants, dans des cafés. Elles durent trois minutes à peu près. Tout le monde écoute. En silence. » Puis l’ordinaire reprend son cours. « Ce sont quatre poètes qui vont lire chacun deux fois. Ça permet à des gens de parler avec des poètes, de les écouter. Ce système du festival a été imité au Mexique, en Argentine aussi. »
À chaque édition du festival, dit-il, la poésie circule de plus en plus. « On vend plus de poésies que dans les librairies, je crois. On vend pour 35 000 $ de poésie durant le festival. »
Il travaille à une édition spéciale, axée sur le centenaire de naissance de Riopelle en 2023. « J’avais 14 ou 15 ans quand j’ai vu pour la première fois une toile de Riopelle. C’est une des plus grandes émotions de ma vie. » Cette programmation sera en quelque sorte son legs au festival, dit-il.
Même s’il prévoit ralentir, il siège encore au conseil d’administration de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ). « C’est le plus gros business culturel au Québec », précise-t-il. Gaston Bellemare était du comité de sélection qui a conduit à la nomination de Marie Grégoire, l’ex-députée de l’Action démocratique du Québec (ancienne CAQ), dont la venue inattendue en ces lieux a soulevé la controverse. « Jamais personne ne nous a obligés à la prendre. On a regardé sa perspective », dit-il. « On a travaillé avec les exigences qui nous ont été envoyées. » Tout en ajoutant que « le choix définitif, ce n’est pas BAnQ qui l’a fait ».
Gaston Bellemare aime chiffrer un peu tout. « J’ai publié 1100 titres, dont des coéditions avec 17 éditeurs. » Il rappelle, non sans fierté, être reconnu par l’institution universitaire. « L’université m’a donné trois ou quatre distinctions », dit-il. « J’ai été membre de 32 organisations, dont président de l’Association nationale des éditeurs durant 20 ans. »
Il vient de recevoir l’Ordre des arts et des lettres du Québec et il s’en félicite. « J’ai eu 36 distinctions honorifiques. Plusieurs du Québec, de la région de Trois-Rivières, deux de Roumanie et deux du Mexique. Je suis chanceux. Celle-ci vaut plus que si j’avais gagné 100 000 $. C’est le plus haut grade qui me revient au Québec. À part le prix Georges-Émile-Lapalme, que j’ai déjà eu, c’est le plus gros ! C’est une prime morale. C’est la paye qui va me rendre heureux jusqu’à la fin de mes jours. »