Voici ce que va changer la réforme du statut de l’artiste

Jour « historique » pour le milieu de la culture : après des années d’attente, la réforme du statut de l’artiste a finalement et été adoptée à l’unanimité vendredi à l’Assemblée nationale, un exploit que plusieurs croyaient impossible il y a encore quelques semaines. Déposé en avril par la ministre de la Culture et des Communications, Nathalie Roy, le projet de loi 35 était destiné à mourir au feuilleton, alors que la dernière session parlementaire avant les élections s’achève à la mi-juin. Or, une entente exceptionnelle entre le gouvernement Legault et les oppositions a accéléré le processus législatif. Mais concrètement, quels sont les principaux changements apportés par cette large refonte ?
Les auteurs pourront négocier des conventions collectives.
Il faut savoir qu’avant l’adoption du projet de loi 35, deux lois distinctes régissaient les conditions minimales des artistes au Québec depuis les années 80. La première s’appliquait aux artistes des arts de la scène et de l’audiovisuel ; la seconde, beaucoup moins mordante, aux écrivains et aux artistes visuels.
La nouvelle loi englobe maintenant l’ensemble des artistes. C’est donc dire que l’Union des écrivains et écrivaines (UNEQ) pourra dorénavant négocier des conventions collectives, de la même manière que l’Union des artistes (UDA) dans le milieu du spectacle et de la télévision. Jusqu’alors, chaque auteur devait négocier ses conditions directement avec son éditeur.
« Ça faisait 30 ans qu’on demandait cette réforme. C’est extraordinaire ce qui arrive aujourd’hui. C’est très émouvant », a réagi la présidente de l’UNEQ, Suzanne Aubry, après l’adoption du projet de loi 35.
Les éditeurs, eux, avaient exprimé des réserves quant à l’instauration de ce nouveau rapport de force dans l’industrie littéraire il y a quelques semaines. Mais Suzanne Aubry a assuré que son organisation allait négocier avec pragmatisme, en tenant compte des différentes réalités du milieu. « Je suis très optimiste. Il ne s’agit pas de réinventer la roue. Plusieurs éditeurs donnent déjà des conditions très satisfaisantes. Il s’agit maintenant de faire que ces bonnes pratiques soient répandues dans toute l’industrie. Mais on sait que le milieu du livre scolaire, ce n’est pas la même réalité que la littérature ou le livre de cuisine. On va négocier par secteurs », s’est engagée Mme Aubry en entrevue au Devoir.
L’UNEQ a reçu le mandat de représenter l’ensemble des auteurs lors des négociations. Mais ces derniers ne seront pas tenus d’être membres de ce syndicat pour autant.
Le Tribunal administratif du travail a plus de pouvoirs
Dans le milieu de la culture, le Tribunal administratif du travail se limitait jusqu’alors à la reconnaissance des associations. La réforme du statut de l’artiste octroie maintenant de nouveaux pouvoirs au tribunal, qui aura maintenant comme mandat de faire respecter les conventions collectives.
Mais surtout, la nouvelle loi sur le statut de l’artiste offre des dispositions supplémentaires aux artistes en cas de harcèlement psychologique au travail. Le Tribunal administratif du travail peut maintenant sanctionner des producteurs qui n’auraient pas pris les moyens nécessaires pour prévenir des comportements inappropriés. Une avancée saluée à l’unisson par les associations et les syndicats, d’autant que le milieu a été frappé de plein fouet par le mouvement #MoiAussi dans les dernières années.
Par voie de communiqué, la ministre Roy s’est félicitée de contribuer à l’amélioration des conditions de travail des artistes. « Le Québec peut maintenant s’enorgueillir d’avoir une nouvelle loi équilibrée, qui permet aux artistes québécois d’avoir accès à de meilleures conditions de travail et d’exercer leur art dans un environnement sain et sécuritaire, et plus largement, de contribuer au plein développement de l’ensemble du milieu culturel québécois », a-t-elle déclaré, avant de remercier les partis d’opposition pour leur collaboration lors de l’étude accélérée du projet de loi.
Serrer la vis à certains producteurs
Il est courant dans le milieu du cinéma et de la télévision que des producteurs ouvrent des compagnies seulement pour un projet. Ces entreprises « coquilles » sont ensuite refermées, dès que la production du film ou de l’émission est terminée. Or, si le producteur n’est pas membre d’une association en règle, il arrive que des artistes aient du mal à récupérer leur dû.
La réforme du statut de l’artiste a été amendée afin de permettre aux associations d’artistes d’engager des recours contre ces producteurs. L’Union des artistes (UDA) s’en réjouit, mais souligne que la nouvelle loi ne va pas assez loin. Elle aurait aimé que la réforme comprenne des dispositions qui bloqueraient l’octroi de financement public à des producteurs fautifs.
L’UDA a rappelé que la ministre Roy s’est engagée en commission parlementaire à agir en ce sens au niveau de la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) et du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ), les principaux bailleurs de fonds publics dans le milieu.