La Perse antique inspire des oeuvres lumineuses à Sayeh Sarfaraz

Vue de l’exposition de Sayeh Sarfaraz
Louis-Étienne Doré Vue de l’exposition de Sayeh Sarfaraz

À voir les couleurs toniques et joyeuses qui caractérisent la nouvelle production de Sayeh Sarfaraz, tout va pour le mieux. L’artiste d’origine iranienne n’a pourtant rien délaissé de son point de vue critique sur le régime islamique qui a transformé son pays natal et qui l’a poussée à l’exil. Elle avait 21 ans. Après des études en France, elle est arrivée au Canada en 2007. Depuis, dans un style paradoxalement enfantin, ses installations campent des scènes hantées par la violence.

La note d’espoir qui teinte maintenant ses gouaches sur papier s’inspire de la Perse antique, un monde idyllique dont elle partage les trésors de l’héritage culturel. Sous ces dehors invitants, signes de résilience et de persistance, pointe toutefois encore la menace de la répression du régime autoritaire qui est, lui, toujours bien en place.

C’est aussi en réponse à la guerre (Iran-Irak) qui a marqué son enfance que l’artiste fait cette proposition à la Maison de la culture Claude-Léveillée, à Montréal, qui l’a invitée au début de l’année à faire une résidence de création. Le mois de production a coïncidé avec l’envahissement de l’Ukraine par la Russie, ce qui a réveillé chez elle, a-t-elle raconté au Devoir, de douloureux souvenirs. Cette guerre, comme les autres, est aveugle à la souffrance des victimes pour qui la vie doit continuer malgré les horreurs.

Merveilles perses

 

Un ensemble de gouaches colorées sur papier Saint-Armand constitue la pièce maîtresse de cette exposition présentée dans une salle rendue méconnaissable ; la lumière naturelle entre généreusement par les fenêtres, d’ordinaire masquées. Cette ouverture sur l’extérieur agit judicieusement de concert avec une mise en place dépouillée et élégante.Elle calme, tandis que, exigeant un regard de proximité, les œuvres se font denses avec leurs motifs détaillés où se révèle une riche complexité.

La série de gouaches — en continuité avec un corpus présenté l’automne dernier au Hangar 7826, dans Villeray — affirme dans des aplats colorés très précis des motifs évoquant de la culture perse ses poteries, ses tapis, ses pierres précieuses, ses bijoux et ses miniatures, des joyaux auxquels s’ajoutent aussi les jardins, des havres publics réputés. Les motifs s’imbriquent joliment, comme s’ils étaient libérés d’une lampe merveilleuse.

La composition est toutefois fracturée par des gouaches noires qui organisent des silhouettes autrement plus funestes, telles ces robes en chute libre évocatrices de la répression exercée sur les femmes dans le régime islamique iranien. Persépolis est en ruines, et beaucoup de la culture perse s’exprime désormais en cachette.

Tensions politiques

 

Impossible d’oublier, nous dit l’artiste plus explicitement dans une autre série de gouaches, intitulée 40 ans après. Elles furent présentées en 2019 chez Adélard à Frelighsburg pour souligner l’arrivée de Khomeini au pouvoir en 1979 et les horreurs de la dictature qui s’ensuivirent.

Qu’elle les dessine sur papier ou les déploie au sol avec des blocs Lego, Sayeh Sarfaraz raconte, avec ses motifs, le contrôle et le nécessaire désordre inhérents aux rapports de pouvoir. Les airs de jeu, et de fête, apportés par les œuvres avec leur facture naïve trompent ainsi sur la nature des propos. La stratégie témoigne habilement des effets de la censure, une réalité concrète pour celle qui, au risque de sa liberté, ne peut plus retourner en Iran, bien que ses parents y soient toujours.

C’est à eux qu’elle songe encore, et aux générations d’avant, à travers ses œuvres. Elle renoue ainsi avec leur héritage et le magnifie. Telle forme, qui apparaît avec récurrence dans des couleurs variées, lui vient de sa grand-mère et de sa collection de tapis. L’histoire personnelle se relie au collectif dans une autre série de gouaches qui fait allusion au Musée des joyaux nationaux à Téhéran, que l’artiste a visité durant son enfance. Certains bijoux étaient étrangement absents des écrins, faisant naître des rumeurs autour de leur disparition sous le régime islamiste.

Les miniatures, délicatement peintes en noir avec le plus fin des pinceaux, reposent à l’horizontale sous des boîtiers transparents, comme le plus cher des trésors abrité dans un tombeau. Avec des moyens de fortune transformés par la grâce, Sayeh Sarfaraz conjure avec force les interdits et nous emporte dans une archéologie imaginaire aussi réparatrice que préoccupante.

On rejoue ?

De Sayeh Sarfaraz. À la Maison de la culture Claude-Léveillée, jusqu’au 5 juin.

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