Les éditeurs de livres inquiétés par le projet de loi 35

La réforme du statut de l’artiste présentée la semaine dernière par le gouvernement Legault inquiète les éditeurs, qui craignent que ce projet de loi débouche sur un rapport de force qui leur serait défavorable face aux écrivains. Ils espèrent maintenant être rassurés par la ministre de la Culture, Nathalie Roy, à qui ils demandent des précisions.
« On apprend que la loi qui régissait la littérature depuis 35 ans est abrogée. Les repères qui servaient de guides dans nos rapports avec les auteurs n’existent plus. Ils étaient des travailleurs autonomes et deviendront des salariés. Ça change beaucoup de choses. Il y a plein de détails techniques que le gouvernement va devoir mieux nous expliquer », a souligné Arnaud Foulon, le président de l’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL).
Rappelons qu’un des points phares du projet de loi 35 consiste à inclure les écrivains dans la loi qui régit actuellement les conditions de travail des artistes de la scène et de l’audiovisuel. C’est donc dire que chaque écrivain n’aurait plus à devoir négocier son contrat de gré à gré avec son éditeur. Si la refonte du statut de l’artiste venait à être adoptée, l’Union des écrivaines et écrivains québécois (UNEQ) se verrait confier le mandat d’établir une entente collective avec les éditeurs, comme le fait déjà l’Union des artistes avec les producteurs de télévision, par exemple.
Sauf que pour Arnaud Foulon, les maisons d’édition n’ont rien à voir avec les producteurs, qui évoluent dans une industrie beaucoup plus florissante que ce qu’est le milieu littéraire au Québec. « Rien ne nous laisse présager que cette loi va mener à de meilleures conditions socio-économiques pour les créateurs. En ce moment, il se publie 6000 livres par année au Québec. Est-ce que ça va demeurer comme ça avec la nouvelle loi ? Je ne le sais pas », a-t-il laissé entendre en entrevue au Devoir.
Un point de vue totalement opposé à celui de la présidente de l’UNEQ, Suzanne Aubry. Selon l’organisation syndicale, la ratification d’une grande entente collective dans le monde de l’édition se matérialiserait inévitablement par de meilleures conditions socio-économiques pour les auteurs. « Quand la première loi sur le statut de l’artiste a été adoptée, dans les années 1980, les producteurs disaient aussi qu’il allait y avoir moins de films et d’émissions. Mais c’est finalement tout le contraire qui s’est produit. Je pense que la nouvelle loi va aussi s’avérer gagnante pour tous les acteurs dans la chaîne du livre », de poursuivre Mme Aubry, en réponse à l’ANEL.
Réalités différentes
Professeur en études littéraires à l’Université de Sherbrooke, Anthony Glinoer comprend les motivations qui poussent l’UNEQ à vouloir mieux encadrer les conditions de travail dans l’industrie du livre. D’autant plus que la plupart des auteurs touchent à peine 10 % des profits sur leurs ventes de livres, en plus de ne pas être rémunérés pour participer à des événements spéciaux, comme les salons du livre.
Ce serait une immense révolution qu’il n’y ait qu’une seule convention collective pour régler tous les problèmes des auteurs
Mais M. Glinoer est aussi sensible aux arguments des éditeurs, qui sont peu nombreux à rouler sur l’or. Dans une industrie comportant autant de disparités, il voit mal comment l’UNEQ s’y prendrait pour imposer une seule et même entente collective à l’ensemble des éditeurs.
« Ce serait une immense révolution qu’il n’y ait qu’une seule convention collective pour régler tous les problèmes des auteurs. Car il y a différents genres de livres, différents types, différents modes de distribution. Un livre de cuisine qui est vendu au supermarché, ce n’est pas la même chose qu’un roman. Peut-être faudrait-il y aller par ententes sectorielles, mais encore là, comment faire établir les différents secteurs ? Dans le monde de l’édition, tout le monde touche un peu à tout », a avancé celui qui enseigne l’histoire de l’édition.
Malgré les doutes, l’UNEQ maintient espérer que l’ensemble de l’industrie littéraire soit soumis au même cadre. Les rares écrivains vedettes, qui sont actuellement en mesure de signer des contrats plus avantageux que la plupart des auteurs, pourraient quand même continuer de négocier des cachets plus élevés que les conditions planchers prévues dans l’entente collective, a assuré l’UNEQ.
Si, bien sûr, le projet de loi 35 ne meurt pas au feuilleton. Le cabinet de Nathalie Roy a réitéré lundi son souhait de le voir adopté avant les élections. Des discussions entre les différents partis à l’Assemblée nationale ont encore cours afin d’accélérer son étude.