«L’endroit où tu existes encore»: la forêt, ce bien-aimé

L’artiste Andréanne Godin à son exposition «L’endroit où tu existes encore», chez Oboro.
Photo: Photos Paul Litherland L’artiste Andréanne Godin à son exposition «L’endroit où tu existes encore», chez Oboro.

Au moment où les expériences immersives à grand déploiement, et sous de féroces campagnes marketing, ne cessent de se multiplier — y compris pour un seul et même artiste (après Imagine Van Gogh, voilà que se tient Van Gogh – Distorsion) —, la plus récente exposition de l’artiste Andréanne Godin pourrait être perçue comme un pied de nez à toutes ces entreprises de séduction. Ou comme un exemple d’économie de moyens (et de saine modestie) pas moins efficace.

Entrer dans la « grande » salle du centre Oboro (grande, mais douze fois plus petite que l’espace du Palais des congrès qui accueille Van Gogh. Distorsion), c’est avancer en pleine forêt. La pénombre générale, d’une part, l’éclairage changeant qui passe subtilement d’un bleu hivernal à un rouge ardent, d’autre part, donnent le ton. Les différentes représentations d’arbres, de ruisseaux et de sols enneigés établissent le programme iconographique. Et si, par chance, le jour de visite, le vent extérieur souffle, il sera audible. Et l’expérience, totale.

En trois seules stations (ou trois œuvres), l’exposition L’endroit où tu existes encore imprègne la salle d’un univers imaginaire à la fois rassurant et ténébreux, familier et mystérieux. Avec elle, Andréanne Godin signe le troisième volet d’un projet faisant de la forêt le lieu de bien de deuils. Ses souvenirs d’enfance en Abitibi, tout comme le contexte actuel (crises climatique et sanitaire, urbanisation et déforestation, etc.), lui servent d’inspiration.

Montée avec le soutien de la collègue Marie-Ève Charron, déjà commissaire du volet précédent (Si bleu qu’est notre temps, 2021), l’expo à Oboro demeure un champ ouvert aux interprétations. L’installation d’arbres étêtés et dépouillés qu’on découvre dans le fond de la salle peut susciter tristesse et mort, mais la présence d’un spécimen bleu, presque irradiant de vie sur ses voisins, projette une autre vie.

Cette idée de recommencement est aussi manifeste dans un petit tableau représentant une scène d’hiver. La composition frontale s’attarde à un muret glacé sur lequel la neige a figé. Impossible de ne pas penser, pour ceux qui ont en déjà fait l’expérience, à L’heure mauve (1921) d’Ozias Leduc. La célèbre peinture, aujourd’hui au Musée des beaux-arts de Montréal, est « la synthèse » des paysages symbolistes de Leduc, selon Laurier Lacroix, grand spécialiste du peintre. « L’heure mauve réfère au moment de transition entre le jour et le soir […], moment entre l’action et le repos », écrit celui qui décrit un chêne comme « symbole de la continuité et de la permanence ».

Chez Andréanne Godin, l’arbre est un motif récurrent dans sa pratique entamée il y a une dizaine d’années. Dessinatrice avant tout, elle travaille néanmoins à grande échelle, voire à échelle réelle. La marche en nature, suggérée ou même véritable expérience (l’œuvre de 2015 Wanna Go for a Walk ?), est comme le corollaire de cette proposition à vivre la forêt de l’intérieur.

Dans L’endroit où tu existes encore, la pièce de résistance est un immense dessin étalé sur une structure cylindrique. La forme arrondie donne l’impression d’un paysage sans fin, imperceptible d’un seul coup d’œil. On plonge dans une clairière représentée non pas à la croisée de deux temps, mais en deux temps. Si l’heure ici n’est pas mauve, elle est bleue, puis rouge, ou alors rouge, puis bleue. La contribution de Karine Gauthier, conceptrice de la lumière, est à signaler tant l’expérience immersive repose sur la force de ses éclairages.

Sans être alarmiste, Andréanne Godin fait partie de ces artistes qui cherchent à redonner à la nature son importance, sa vitale existence. Comme la photographe Chloé Beaulac, qui se projette dans les Laurentides de son enfance, ou comme Andreas Rutkauskas, qui voit dans les feux de forêt, lui aussi en photo, l’espoir d’une renaissance, Andréanne Godin cumule passé et présent pour s’armer d’optimisme. Un deuil n’égale pas une fin.

Une expo de prix

Le galeriste Éric Devlin répond à nos questions au sujet de l’exposition 20 prix Borduas.

Pourquoi une exposition sur ces prix ?

Je voulais rendre hommage à André Fournelle, le lauréat 2021. Chaque automne, le gouvernement du Québec décerne ce prix, puis on n’en parle plus. Il m’est apparu sympathique de regrouper ces artistes sans plus de prétention.

Comment s’est fait le choix des oeuvres ?

Actuellement, tout est laborieux. Les encadreurs ont de la difficulté à s’approvisionner. Les transporteurs et les imprimeurs imposent des délais supplémentaires. Je suis allé au plus simple : des oeuvres à portée de ma main.

S’agit-il d’une exposition d’oeuvres emblématiques ?

Il y en a : un bois brûlé d’Armand Vaillancourt, une huile de la série Cévennes de Fernand Leduc. Mais j’ai de la difficulté à réduire une carrière à une oeuvre. J’éprouve plus de plaisir devant des oeuvres hors champ. Un exemple. Le temps est fondamental chez Bill Vazan. Il s’est intéressé aux mégalithes ; son oeuvre emblématique serait un bloc erratique gravé au jet de sable. Je n’en ai pas. Par contre, je présente Subway Ride — Montreal, une enveloppe contenant les correspondances prises à chaque station du métro le 9 décembre 1969.

20 prix Borduas
Salon b, 4231B, boulevard Saint-Laurent, du 5 au 15 mai.

 

L’endroit où tu existes encore

Andréanne Godin. À Oboro, 4001, rue Berri, jusqu’au 14 mai.



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