«District 31», entre fiction et réalité

Si elle s’est abreuvée d’une culture policière réelle, la série « District 31 » proposait un corps policier beaucoup plus efficace qu’il ne l’est en réalité.
Jour après jour, depuis six saisons, repliés par la pandémie devant leur petit écran, des millions de téléspectateurs ont gardé les yeux rivés sur le poste de police en carton-pâte imaginé par les concepteurs de l’émission District 31. Jour après jour, ils ont souri aux entourloupettes du commandant Daniel Chiasson (Gildor Roy), à la candeur de l’enquêtrice Noélie St-Hilaire (Catherine St-Laurent) ou, bien malgré eux, au charme crâneur du chef de gang François Labelle (Peter Miller).
Six saisons plus tard, quelle compréhension gardera le public québécois du fonctionnement du milieu policier québécois ?
Malgré la multiplication des péripéties, meurtres, attentats, enlèvements, survenant autour d’une si petite équipe, malgré leur taux de résolution des crimes bien au-dessus de celui qu’on note dans la réalité, la série donnait un aperçu réaliste de l’ambiance qui peut régner dans un poste de police, selon Stéphane Wall, qui a été superviseur de terrain au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), et qui est aujourd’hui retraité.
« Il y avait un concentré d’événements qui arrivaient tout le temps aux mêmes policiers, mais au niveau de l’ambiance, de la camaraderie, des blagues, de la culture policière, il y avait vraiment de bonnes ressemblances avec la réalité, dit-il. J’ai entendu dire que Luc Dionne avait des contacts avec des policiers. Il n’invente pas ça, il est bien nourri. »
Un taux de résolution des homicides de 50 %
Dans la vraie vie, on s’en doute, les policiers ne sont pas toujours les héros qu’on aime chérir au petit écran. Alors que les séries policières font voir un taux de résolution des crimes d’environ 90 %, le SPVM affiche un taux de résolution de 50 % des homicides commis sur son territoire en 2021.
Pour le criminologue Rémi Boivin, cette image de la police véhiculée dans la fiction a pour effet de surélever les attentes de la population envers les corps policiers. « Cela laisse aussi croire que le type de crime le plus courant est une forme de crime contre la personne, dit-il, alors que le type de crime le plus courant est probablement le vol simple ou le vol à l’étalage. »
Dans la réalité, la majorité des appels faits dans les postes de police sont liés à des affaires non criminelles, dit Rémi Boivin, les policiers sont plus souvent occupés à régler des conflits de voisinage ou à faire de la médiation qu’à avoir recours à des services secrets.
Des ripoux en chair et en os
Quant aux ripoux, qui endossaient les rôles des méchants dans District 31, les personnages de Denis Corbin (Paul Doucet), de Hugo Simard (Alex Godbout) ou de Nick Romano (Mathieu Baron), ils existent bel et bien dans la vraie vie, mais ils sont plus rares. Stéphane Wall cite le cas de Benoît Guay, un policier du SPVM spécialisé en filature qui se servait de ses connaissances pour suivre et agresser sexuellement des adolescentes et des jeunes femmes. Il a été accusé en 2004.
« Oui, il y a des cas qui sont déjà arrivés dans le passé. Je me souviens du cas d’un policier de la GRC, Jocelyn Hotte, qui avait été garde du corps de Jean Chrétien, qui était au milieu d’un triangle amoureux, et qui avait tiré sur la voiture de son ex et de son nouveau chum. » C’était en 2001.
Selon lui, le milieu policier, tout corporatiste qu’il soit, est moins tolérant qu’avant envers les écarts qui surviennent dans ses rangs. « Dans le temps, il y a des policiers qui pouvaient traverser la ligne et les policiers fermaient les yeux plus facilement. De nos jours, quelqu’un qui veut faire des crimes, tout ce qu’on veut c’est qu’il soit arrêté. » Quant au recours à la collecte d’informations sans mandat, elle est beaucoup plus rare dans la vraie vie, dit-il.
Même chose pour le recours à la force, qui est, selon Rémi Boivin, surreprésenté dans les séries policières. Quant au Service des enquêtes indépendantes, il se nomme, dans la vraie vie, le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI), et il est vrai qu’il occasionne des frictions avec les corps policiers…
Un milieu conservateur
Le 11 avril, l’avocate à la retraite Dominique Legault écrivait une lettre dans Le Devoir pour protester contre l’image des femmes véhiculée dans District 31. « Dans les histoires racontées par l’auteur Luc Dionne, les femmes sont trop souvent hystériques, folles ou menteuses », écrivait-elle.
Sans se prononcer précisément sur les histoires de Luc Dionne, Rémi Boivin confirme que la culture policière est un milieu conservateur. « C’est très axé sur le masculinisme », dit-il.
Les choses semblent cependant changer. La Sûreté du Québec est désormais dirigée par une femme, et c’est aussi une femme qui dirige par intérim le SPVM.
Reste que pour quelqu’un comme le politologue Francis Dupuis-Déri, coauteur de l’ouvrage Profilages policiers, paru en janvier, les séries policières en tous genres, comme les romans policiers, sont tout simplement « un fléau ».
« J’aimerais que cette énergie créative soit réservée à d’autres aspects de la réalité, à d’autres expériences humaines », dit-il, arguant qu’il ne peut zapper sans tomber sur une série policière, qu’elle soit québécoise, américaine, belge ou française.
Par ailleurs, il brandit des chiffres consignés par la firme Léger, selon lesquels les citoyens étaient satisfaits à 80 % des policiers en 2022, à 75 % en 2016, et marquaient un creux à 65 % en 2012, « sans doute à la suite des grèves étudiantes ». En 2022, donc, selon ce sondage, les policiers arrivaient au 31e rang des professions les plus appréciées.
Le politologue relève par ailleurs que la confiance envers les policiers chute radicalement lorsqu’on sonde différentes minorités. « Il peut y avoir une différence du simple au double lorsqu’on interroge plutôt des personnes noires ou autochtones, qui sont deux fois plus méfiantes envers les policiers. » Il ajoute : « Les études montrent que pour les Afro-Canadiens ou les Afro-Américains, la police est plutôt perçue comme une menace », dit-il.
La surreprésentation des corps policiers dans les séries et dans les livres « nous fait croire qu’on vit dans un monde dangereux où il faut être protégé par la police ».