Décès de l’historien et défenseur du patrimoine Michel Lessard

Auteur de plusieurs ouvrages de vulgarisation du patrimoine québécois, Michel Lessard était considéré comme un allumeur de consciences autant qu’une solide référence. Le grand historien nous a quittés mercredi à l’âge de 79 ans.
C’est un monument de la mise en valeur du passé du Québec qui vient de tirer sa révérence. « Michel Lessard était un pionnier de la protection du patrimoine québécois. Il nous a ouvert les yeux et ouvert aussi bien des portes. C’est le premier, au fond, à avoir offert à tous des ouvrages de vulgarisation sur le patrimoine, à nous avoir sensibilisés, comme société, quant à l’importance de ces questions », explique l’historien et photographe Pierre Lahoud à l’annonce de son décès.
Michel Lessard a eu le coup de foudre pour les temps anciens, au nom de l’avenir des siens, alors qu’il travaillait, jeune étudiant, en archéologie pour le compte du gouvernement fédéral. Le charme est immédiat. « Comprendre le passé à travers l’œuvre des pionniers, c’est passionnant. Ils avaient le culte de l’ouvrage solide et bien fait. » Et il ne cessera de vouloir en témoigner.
Le vice-président du GIRAM, Gaston Cadrin, soulignait récemment à quel point Michel Lessard a su sonner l’alarme en faveur de la préservation du patrimoine québécois. Il a pointé du doigt plus d’une fois des bâtiments abandonnés à leur triste sort par les autorités publiques afin d’alerter l’opinion. Sur ces questions de préservation, Michel Lessard écrivait régulièrement au Devoir pour partager ses savoirs.
Connu d’un vaste public
Ses nombreux livres illustrés, toujours très soignés, l’ont fait connaître d’un vaste public. Il était un spécialiste des antiquités québécoises en général et des commencements de la photographie en particulier. De tels livres ont souvent donné des maux de tête par leur complexité à son éditeur. Ses livres, des classiques du genre, comptent parmi les ouvrages majeurs dans le domaine au Québec.
En 2007, il fait paraître La nouvelle encyclopédie des antiquités du Québec, un ambitieux projet qui reprend sous un jour nouveau ses travaux précurseurs en la matière, parus entre 1971 et 1975. Travailler avec Michel Lessard n’était pas de tout repos, diront ses éditeurs. « Les astuces déployées pour parvenir à persuader Michel de s’atteler à la tâche de cette réédition mériteraient un livre en soi », commente l’un des derniers, Pierre Bourdon. Tous s’entendent pour dire que peu de gens ont connu autant de succès avec des livres de ce type. « Ses livres ont tous été de formidables succès d’édition, commente l’historien Pierre Lahoud. C’est unique dans le genre. »
Il a aussi donné à voir plusieurs documentaires, dont une série réalisée par Fernand Danserau, intitulée Un pays, un goût, une manière, qui s’intéresse à la vie des colons français en Amérique.
Un intérêt nouveau
Michel Lessard expliquait lui-même au Devoir l’intérêt nouveau que son travail suscitait au début des années 1970, en pleine montée du mouvement indépendantiste, auquel il aura souscrit de toute son âme jusqu’à la fin de sa vie : « Devant le succès d’édition de l’Encyclopédie des antiquités du Québec, Alain Stanké m’avait demandé de répéter ce succès en traitant de la maison ancienne. À cette époque, j’enseignais dans une école normale de Sainte-Foy la didactique et la méthodologie en histoire, en même temps que j’étudiais à Laval. C’était l’époque où on renouvelait l’enseignement de l’histoire en prônant une approche inductive, aujourd’hui vers l’hier. L’histoire, le temps, c’est abstrait, et pour mieux intégrer cette notion vers l’âge de 12 ans, on pouvait partir des objets d’aujourd’hui pour reculer vers l’hier par la séquence de la culture matérielle. J’avais ainsi produit visuellement et de façon documentaire des séquences de biens matériels de notre cheminement. Meubles, céramique, verre, armes… »
En 1974, il dit, à propos de son ouvrage sur les maisons anciennes : « Mon livre n’est pas un livre de recettes, mais j’ai voulu éveiller l’intérêt de ceux qui possèdent une maison ancienne et leur donner une idée de base, leur expliquer comment les anciens travaillaient et comment ces maisons doivent être restaurées. D’ailleurs, il est important pour la jeune génération de comprendre l’œuvre des anciens, qui alors deviendra un tremplin pour les créateurs actuels. »
Des succès sans équivalent
Plusieurs livres vont se succéder, toujours avec le même succès. En 1998, il en consacre un, imposant, à l’île d’Orléans. Dans la tradition de l’enchantement pour cette île déjà cultivé par l’archiviste et historien Pierre-Georges Roy, Lessard pousse plus loin encore du côté de la mystique des origines. Son livre constitue, lui aussi, un remarquable succès d’édition dont se félicite alors l’éditeur Pierre Lespérance, lequel va soutenir durant des années ses projets les plus ambitieux. Dans cet ouvrage consacré à l’île d’Orléans, Lessard entend remonter « aux sources du peuple québécois et de l’Amérique française ». La tonalité qu’il donne à ses divers livres, tous ouvertement nationalistes, constitue pour le lecteur qui le suit une constante autant qu’une évidence.
Spécialiste des origines de la photographie québécoise, Michel Lessard publie en 2013, en collaboration avec Pierre Lavoie et Patrick Altman, Québec éternelle, une « promenade photographique dans l’âme d’un pays ». À travers cette histoire en images de la capitale nationale, il caresse en douce des thèmes politiques : le pays français d’Amérique et son admiration à travers les âges, le tout dans une sorte de crescendo de la fierté dont il ne cesse de refaire les gammes.
Pour Patrick Altman, Lessard a su « recréer la mémoire visuelle de notre pays », en soulignant qu’avant lui, peu de choses existaient à ce sujet. Au temps de ses études supérieures, Lessard avait consacré sa thèse de doctorat aux photographes Livernois de Québec. En matière de photographie, son ascendant était tel que la compagnie Kodak utilisa une représentation de Michel Lessard aux archives pour assurer sa propre publicité en faveur de son matériel. Le directeur de la revue d’histoire Cap-aux-Diamants et lui-même grand collectionneur Yves Beauregard considère que Michel Lessard, « par ses recherches, ses travaux, ses publications, ses prises de position sur notre patrimoine », est une grande source d’inspiration.
Fort et flamboyant
On doit à Michel Lessard une vingtaine de titres, plusieurs films documentaires, des séries radiophoniques et quantité d’expositions consacrées aux arts et à la culture populaire québécoise. Pendant une trentaine d’années, tout en poursuivant de nombreux chantiers de recherche, il a enseigné au Département d’histoire de l’art de l’UQAM.
« C’était une personnalité forte et flamboyante. Personne ne va contester ça, affirme Pierre Lahoud. Il était en quelque sorte un puissant haut-parleur. D’ailleurs, il n’hésitait pas à se présenter ainsi. Il connaissait des gens partout ; il avait un nombre infini d’entrées dans le public, ce qui lui permettait de faire connaître du jour au lendemain une question. J’admirais et j’admire encore Michel pour ses talents de communicateur, pour sa passion du patrimoine, pour son amour des gens et pour les livres extraordinaires qu’il a publiés jusqu’à maintenant. Son exemple m’a servi de motivation pour qu’à mon tour et dans sa foulée je me mette à publier sur le Québec. »
Mercredi 6 avril, jour même de sa mort, le lieutenant-gouverneur du Québec lui accordait une médaille en reconnaissance de son œuvre. En 1996, le prix Gérard-Morisset, la plus haute distinction décernée par le gouvernement québécois en matière de patrimoine, lui était décerné. Né à Sorel en 1942, il avait obtenu un doctorat en histoire de la photographie en 1986 après avoir fait ses études classiques à Lévis, période durant laquelle il se passionne pour le théâtre. Au début des années 1980, il fut du comité de direction du Musée des religions installé à Nicolet. Il était membre de la Société des Dix, une confrérie d’historiens fondée en 1935.
En 2021, l’Association des architectes en pratique privée du Québec (AAPPQ) lui a décerné à l’unanimité le titre de membre honorifique pour son engagement et sa contribution exceptionnelle à promouvoir, en particulier, la qualité architecturale de l’environnement bâti au Québec et, en général, l’importance des architectes dans la société.
La santé de Michel Lessard était chancelante depuis plusieurs années en raison d’un diabète qui l’avait rendu presque aveugle, mais aussi d’un cancer qui le pourchassait.