Recenser l’évolution du français québécois

Après avoir développé le dictionnaire en ligne Usito, voilà que des professeurs de linguistique de l’Université de Sherbrooke lancent ces jours-ci une nouvelle plateforme Web pour documenter l’évolution du français écrit et parlé au Québec. Un effort qui vise à rendre les Québécois fiers de leur langue, qu’elle soit familière ou littéraire.
Encore embryonnaire pour l’heure, le Fonds de données linguistiques du Québec sera ponctué d’ici les prochains mois de milliers d’extraits d’archives de journaux, de passages d’ouvrages et de vieux enregistrements pour rendre compte de l’évolution de la langue québécoise depuis le XIXe siècle.
Le personnel de l’Université de Sherbrooke s’affaire entre autres à numériser les trames audio de centaines d’entrevues menées par des linguistes dans les années 1960 avec des Québécois d’origine modeste. Lorsqu’elles seront en ligne, d’ici quelques mois, elles permettront ainsi d’entendre un joual dont il ne reste plus beaucoup de traces aujourd’hui, puisqu’il était pratiquement absent de la radio et de la télévision à l’époque. Il s’agira d’une rare occasion, donc, de comparer les parlers populaires d’antan et d’aujourd’hui.
« Tous les aspects de la langue évoluent, la prononciation, le choix des mots… Une chose que l’on peut voir entre autres, c’est comment la langue a évolué de manière différente entre les régions. Mais pour faire ça, il faut des données. Et c’est ce à quoi sert la plateforme : à pérenniser toutes les données qu’on avait et qui étaient fragiles », explique Wim Remysen, directeur du Centre de recherche interuniversitaire sur le français en usage au Québec (CRIFUQ) et instigateur du projet.
Langues populaire et soignée
Le Fonds de données linguistiques du Québec cherche surtout à simplifier la vie des chercheurs qui étudient l’histoire de la langue québécoise. Mais M. Remysen tenait à ce que la plateforme numérique soit accessible au locuteur lambda.
Cela dit, il ne faut pas y voir cependant une forme de recueil à la gloire du joual d’hier à aujourd’hui, prévient le professeur de sociolinguistique de l’Université de Sherbrooke. Le langage normatif et la langue écrite littéraire ont aussi beaucoup changé au Québec, comme en font foi les nombreux extraits de livres, de chroniques, de discours et même de bandes dessinées sur lesquels l’Université de Sherbrooke a mis la main.

Le français soigné est aussi partie prenante de la langue québécoise, qu’on limite trop souvent au joual et autres patois, regrette M. Remysen. « C’est important de rappeler que le français au Québec, ce n’est pas seulement les manifestations les plus familières. […] On a peut-être le réflexe de perdre de vue que le français québécois se démarque aussi dans son registre soigné », note-t-il.
La plateforme, conçue comme un moteur de recherche, se veut le reflet de la richesse et de la diversité du « patrimoine linguistique » québécois. À terme, les chercheurs qui y sont associés souhaiteraient mettre davantage en avant les importantes différences régionales. Des données consacrées à la langue parlée en Estrie et en Mauricie sont d’ailleurs déjà accessibles sur la plateforme, et un corpus provenant des îles de la Madeleine devrait bientôt s’y ajouter.
Le gouvernement Legault avait annoncé en septembre dernier l’octroi d’une subvention de 4,5 millions de dollars pour la réalisation de ce projet.