Bonsound dénonce l’intimidation envers Safia Nolin

Inquiète devant le flot incessant de commentaires haineux et de menaces que reçoit l’artiste Safia Nolin depuis deux ans, sa maison de disques, Bonsound, s’est portée à sa défense jeudi en demandant aux chroniqueurs Richard Martineau et Sophie Durocher de cesser de l’intimider.
« Nous vous demandons de faire preuve d’humanité et de réfléchir aux conséquences qu’ont vos mots et vos actions sur la santé mentale et la sécurité de Safia [Nolin] », a demandé Bonsound dans un message publié sur ses réseaux sociaux. Ce message était adressé directement aux chroniqueurs du Journal de Montréal Richard Martineau et Sophie Durocher ainsi qu’à leur employeur, Québecor.
La maison de disques leur reproche d’alimenter la haine envers Safia Nolin en continuant de publier des chroniques visant à l’intimider au « moindre commentaire qu’elle émet », et ce, en se plaçant « sous le couvert du texte d’opinion ». Bonsound souligne que l’autrice-compositrice-interprète reçoit « à une fréquence alarmante » des messages haineux allant jusqu’aux menaces de mort.
« Je veux que ça cesse, je veux que personne d’autre n’ait à vivre ça. […] Si jamais il m’arrivait de quoi — parce qu’avec le nombre de menaces que je reçois après vos [chroniques], y’a de quoi avoir peur —, j’espère que vous arriverez à dormir sur vos deux oreilles », a pour sa part commenté Safia Nolin sur Instagram vendredi.
En entrevue avec Le Devoir en mai dernier, elle s’était déjà confiée sur les insultes et les menaces qu’elle recevait au quotidien. Elle avait indiqué avoir parfois « peur pour [sa] sécurité » alors que ce déferlement de haine a débordé de sa vie numérique pour se manifester dans « le vrai monde » depuis qu’elle a dénoncé les agissements de la comédienne Maripier Morin sur Instagram en juillet 2020. Elle faisait notamment référence aux graffitis haineux dont elle fait l’objet à travers Montréal.
Cette sortie publique de Bonsound survient au lendemain d’une nouvelle chronique de Sophie Durocher au sujet de l’artiste. Dans ce texte intitulé « Nommons Safia Nolin ministre de la Justice ! », la chroniqueuse lui reproche d’avoir critiqué Star Académie pour avoir invité sur son plateau Patrick Bruel dimanche dernier. Le chanteur français a été visé par des allégations d’inconduites sexuelles et a fait l’objet d’une enquête préliminaire de la justice française. L’enquête a été classée sans suite en décembre 2020.
Acharnement et libre opinion
Au moment où ces lignes étaient écrites, Québecor et les chroniqueurs Sophie Durocher et Richard Martineau n’avaient pas répondu aux demandes d’entrevue du Devoir. M. Martineau a toutefois réagi sur Facebook à plusieurs reprises ces derniers jours, jugeant que Safia Nolin était « totalement incapable de prendre la moindre critique » et qu’elle se disait victime « d’une situation qu’[elle] a [elle]-même créée ».
Sur les réseaux sociaux, plusieurs personnalités ont pris la défense de l’artiste, dont la comédienne Catherine Brunet, l’autrice Martine Delvaux, la cinéaste Monia Chokri ou les humoristes Marie-Lyne Joncas, Adib Alkhalidey et Sam Breton.
« C’est de l’acharnement ! Ils ont le droit techniquement de critiquer Safia Nolin, ses prises de position sont publiques. Mais le faire aussi abondamment, aussi souvent, c’est de l’ordre de l’acharnement », déplore en entrevue l’autrice Judith Lussier.
Dans son dernier livre Annulé(e). Réflexions sur la cancel culture (2021), elle a recensé le nombre de fois où Safia Nolin avait été critiquée dans des chroniques du quotidien. Résultat : 34 textes « défavorables », dont 20 de Sophie Durocher, ont été publiés entre novembre 2016 et juillet 2020, avant que la chanteuse ne dénonce Maripier Morin. Depuis, la cadence s’est accélérée. Rien que pour 2022, c’est la troisième chronique que Mme Durocher écrit sur Safia Nolin. « Je trouve ça très grave ce qu’on fait subir à Safia Nolin, juste dans le but de générer des clics et/ou de la faire taire », insiste Judith Lussier.
Le professeur Marc-François Bernier, qui enseigne l’éthique et la déontologie du journalisme à l’Université d’Ottawa, fait remarquer qu’il n’est pas rare de voir des chroniqueurs — et pas juste au Journal de Montréal — avoir leurs « cibles préférées », leurs « bêtes noires ». « Et ils ont le droit, du moins jusqu’à preuve du contraire. C’est-à-dire quand éventuellement un tribunal va conclure que c’est du harcèlement ou de la diffamation, si ça se rend jusque-là », explique-t-il.
Le professeur rappelle que la chronique est le genre journalistique qui a le plus de liberté. « Après, est-ce c’est toujours justifié, est-ce éthique ? Ça, c’est une autre question. » Car, poursuit-il, l’éthique est propre à chaque chroniqueur. Celui-ci peut décider de « s’aligner » avec les normes et pratiques journalistiques ou d’en faire fi. L’employeur a bien sûr son mot à dire s’il juge que la limite a été dépassée.
« Personne ne peut être totalement insensible aux répercussions de ses discours, de ses opinions, dans l’espace public. Ça doit être considéré quand on a une telle tribune », conclut-il.